dimanche 4 décembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 6 (FIN)


Pour clore cette série, je me dois de parler des outsiders. Car il y a toujours des électrons libres, des groupes qui s'associent peu aux autres et qui ne font pas partie d'un mouvement collectif ou d'une scène particulière. Le meilleur groupe nous permettant de faire la transition entre ces deux mondes est le groupe de Cincinnati Is What?!, formé du rappeur Napoleon Maddox et du saxophoniste Jack Walker. Le premier a déjà été mentionné en lien avec le disque de DJ Spooky "Optometry". Sur ce disque, Napoleon apparaît sur le morceau "Parachutes" avec le saxophoniste Daniel Carter. J'ai appris d'un ami qu'en fait ce morceau était un remix de la chanson du même nom sur le premier album de Is What?!. La particularité du groupe réside dans le fait que Napoleon est aussi beatboxer et parvient à intégrer cet art dans une esthétique plus free sur certaines pièces, ce qui rend l'ensemble encore plus intéressant. Leur premier album, intitulé «You Figure It Out» (Hyena Records, 2004), est celui qui s’approche le plus du free-jazz et ce qui frappe le plus est la participation sur trois morceaux du grand oublié des sorties sur Thirsty Ear; le batteur Hamid Drake. C'est étrange qu'on le retrouve seulement ici, car Hamid Drake joue régulièrement avec les musiciens impliqués sur tous les disques du Blue Series. Guillermo Brown lui a été préféré pour je ne sais quelle raison, mais Hamid Drake est probablement un des meilleurs drummers jazz de notre époque. Is What?! ont sorti trois albums et au fil des disques, ils s'éloignent progressivement du free-jazz pour retrouver une esthétique et une structure plus conventionnelle. Mentionnons cependant, la présence de Roy Campbell à la trompette et d'Hamid Drake sur un morceau chacun du deuxième disque "The Life We Chose". Quoiqu'il en soit, leur premier album demeure celui qui est le près de free-jazz et leur plus intéressant, comme quoi l'expérimentation ne paie pas...



Il y a aussi ce groupe de Minneapolis Kill The Vultures, qui se sont trempés dans l’expérience free-jazz sur leurs trois albums. Le plus intéressant demeure «The Careless Flame » ( Jib Door/Locust 2006). Sur ce disque ils réussissent avec brio à incorporer du saxophone free dans leur pièce titre et un extrait du saxophoniste Sean Behling sur « How Far Can a Dead Man Walk ». Ils incorporent aussi des rythmes saccadées, bancals, des lignes de contrebasse atypiques. Venant agrandir le spectre du free-jazz en utilisant de façon intelligente des échantillons rythmiques. C'est peut être l'échantillonnage qui fait leur force car ils nous ont aussi offert le mini-album « Midnight Pines » en download gratuit , un disque uniquement composés d’échantillons du Sun Ra Arkestra. Le rappeur Crescent Moon, se montre aussi imaginatif que son beatmaker en empruntant un flow près du blues et nettement plus atypique que ce qui se fait dans le rap d'habitude. Je répète: un de mes groupes préférés.





Mais qu'en est-il du côté francophone? Peu d'exemples sont parvenus à mes oreilles de la France, très peu de succès, car je crois que la personne s’en étant approché le plus est sans nul doute le rappeur Rocé, qui sur « Identité en Crescendo » (No Format!, 2006) collabore avec nul autre qu’Archie Shepp sur un morceau. Un duo saxophone/voix qui sur papier, ferait taire Phil Freeman. Sauf que non, le flow de Rocé est beaucoup trop monotone et ennuyant et on commence à comprendre ce que Freeman ressent dans son questionnement...



Naturellement, plusieurs pourront déplorer certains oubliés. Je dois préciser que j'ai tenté de me tenir au plus près du rap et free-jazz, ce qui a pu m'amener à négliger certains artistes qui auraient pu être mentionnés (Dälek, Doseone, K-The-I, entres autres). D'autres aussi que je ne connais pas ou peu, je m'en excuse aussi. Finalement, pour clore la discussion, j'ai été très surpris d'entendre un morceau littéralement free-jazz (la pièce "Will To Power") sur le prochain album de The Roots. Une longue pièce instrumentale, qui permet quand même de croire que tout n'est pas perdu.

vendredi 2 décembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 5


Si on délaisse la côte ouest américaine, où le métissage semble être né sous l'impulsion du rap et on tourne notre regard de l'autre côté du continent, il est intéressant de remarquer que la pulsion vient ici du jazz.

La figure de proue de cette rencontre est le label Thirsty Ear. C'est l'association du label avec le pianiste jazz new-yorkais Matthew Shipp qui a été le fer de lance. Thirsty avec avec Shipp, ont créé une subdivision du label, nommée Blue series, qui avait comme mission de faire découvrir les nouveaux visages du jazz ainsi que favoriser les rencontres improbables. Ils ont permis la sortie du disque de Spring Heel Jack "Masses" qui, il me semble, a été une des premières sorties du genre à avoir attiré l'attention des connaisseurs de musiques expérimentales. Par la suite, les sorties d'albums se sont enchaînées à un rythme effréné, en nous offrant des perles mais aussi quelques ratages. On peut dire par contre qu'ils ont eu le flair de sortir des albums d'artistes hip-hop de premier plan, comme le tiède "High Water" du producteur/rappeur El-P du groupe new-yorkais Company Flow . Cet album (pas mauvais)instrumental n'est pas passé à la légende, car il s'agit d'un disque plutôt linéaire, mélangeant beats et jazz de façon tout à fait conventionnelle, sans saveur particulière. C'est bien dommage, car cela nous a montré que EL-P n'avait peut-être pas la capacité d'être aussi créatif hors de sa zone de confort. Peut-être aurai-t-il fallu qu'El Producto rappe et invite certains des rappeurs de son label Def Jux, tels Vast Aire, Breeze, Rob Sonic et Big Jus afin de donner une touche un peu plus intéressante.



Des autres rencontres avec des rappeurs de premier plan, il y a eu celle de Matthew Shipp et d'Antipop Consortium "Antipop v.s Matthew Shipp". Cette rencontre m'est apparue inévitable suite au premier spectacle que j'ai vu d'eux à l'ancienne SAT, il y a bien des années. Lors de ce spectacle j'avais été vraiment impressionné par l'utilisation des échantillonneurs et synthés. Le trio de Beans, High priest et M. Sayyd parvenait à créer un véritable free-hop. Cependant, ce qu'ils avaient pu mettre à profit en trio s'est soldé par un échec presque total sur cette rencontre avec Matthew Shipp. C'est d'autant plus dommage qu'on retrouve d'autres musiciens de premiers plans tels le contrebassiste William Parker, le vibraphoniste Khan Jamal , le saxophoniste Daniel Carter et Guillermo Brown aux drums. Tous, à l'exception du dernier, sont des grands noms du free-jazz new-yorkais. L'exercice était intéressant mais bien en deça de mes attentes. Le résultat est un intéressant disque de free-jazz, à la manière du disque de Spring Heel Jack mais où le rap est plus souvent qu'autrement absent, même lorsqu'il est présent... Par ailleurs en tant qu'acheteur de disque compulsif, je ne l'ai pas acheté.. Ça en dit long... Si cet album est sorti il y a plusieurs années, voilà qu'est paru cet été, sans tambour ni trompette, le disque "Knives From Heaven" d'Antipop. Il s'agit d'un disque composé à quatre et on y retrouve Beans et High Priest (sans M. Sayyd) accompagnés de William Parker et Matthew Shipp. Le résultat est très intéressant (plus que son prédécesseur), où on touche plus près à un hybride des deux genres musicaux mais les meilleur moments demeurent instrumentaux. La pertinence des deux rappeurs , pourtant emblématique au début des années 2000, semble s'estomper tranquillement...



Toujours sur Thirsty Ear, le disque de DJ Spooky "Optometry" m'est apparu comme une belle réussite. On y retrouve d'excellents moments de rap avec Napoleon de IsWhat?! et de High Priest d'Antipop. Excellentes collaboration entre Dj Spooky et les musiciens usuels du label; Matthew Shipp, Joe McPhee, William Parker et Guillermo Brown. On retrouve aussi le violoniste Daniel Bernard Roumain et même Pauline Oliveros sur l'excellente pièce spoken word de Carl Hancock Rux ... un excellent disque, probablement un des plus méconnus de la série.






LA réussite du label, demeure néanmoins l'album "Negrophilia" (2005) du rappeur Mike Ladd. Celui-ci avait sorti quelques temps auparavant, "In What Language" (2003)paru sur l'éminent label jazz Pi Recordings , en collaboration avec le pianiste Vijay Iyer et plusieurs de ses collaborateurs. Une réflexion sur les lieux de passage que sont les aéroports, à la lumière d'une xénophobie américaine post 9/11. Ce disque reste ordinaire, car met en en lumière différents poètes, inégaux et je n'ai jamais été fan du jeu de Vijay Iyer et de son collègue Rudresh Mahantappa."Negrophilia" par contre est autre chose. Mike Ladd fait partie de cette lignée de rappeur/artiste spoken word tirant une influence directe de la beat poetry en même temps que le Hip-Hop. Trop peu connu des amateurs de rap, Mike Ladd avait entres autres été derrière le projet de Infesticons, dont le premier album de la trilogie "Gun Hill Road" est sorti sur Big Dada en 2000. Ladd est un penseur, et "Negrophilia" n'échappe pas à cette tendance. Un mélange de jazz, de musique africaine et de Hip-Hop qui sert de trame musicale à l'expression d'un critique juste et acerbe de la culture afro-américaine. Vijay Iyer est toujours présent, mais est lui-même sorti de sa zone de confort avec le batteur Guillermo Brown (encore) et le trompettiste Roy Campbell. Beaucoup d'intensité dans les pièces instrumentales mais le propos acerbe de Mike Ladd compense ses absences. Quand j'entends Mike Ladd, j'entends New-York et à l'instar de Daddy Kev, il est probablement un des artiste hip-hop qui incarne le mieux ce soucie de fusion free-jazz et rap.




À défaut d'y avoir des pièces de Negrophilia sur youtube...

mardi 22 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 4


En 2002, le critique musical Phil Freeman, dans son livre “ New-York is Now : The New Wave of Free-Jazz”, dresse un portrait de la scène free-jazz new-yorkaise du début des années 2000. Il y va alors d’une constatation assez étonnante quand il déplore le fait que le rap et le free-jazz ne se sont jamais rencontrés, qu’il attend encore le moment ou un rappeur affrontera un saxophoniste en improvisation dans l’élan de leurs souffles. Il trouve les rappeurs d’une tiédeur incomparable et raille les jazzmen dans leur tentative de franchir le pont entre les styles, dénonçant un conservatisme hypocrite. Freeman n’a pas tort, ce genre de haute-voltige mêlant rap et free-jazz est trop rare mais il serait injuste de dire que certains n’ont pas essayé. Les rappeurs ont suivi le beat, tant que la structure rythmique était soutenu en quatre temps, il était possible pour eux de poser leur flow, structuré en conséquence. D’ailleurs, peu ont essayé de déroger à cette structure. Mais il s’ensuit qu’il manque effectivement un rappeur qui saurait canaliser l’énergie d’une Patty Waters ou d’une Linda Sharrock dans ses performances...



Mais le rap est à mi-chemin entre la chanson et le spoken word. Plus contraignant que le spoken word, il se doit de respecter une rythmique et la notion abstraite du flow. C'est toujours difficile de définir ce qu'est exactement le flow, à vrai dire, c'est probablement ce qui différencie le rap du "slam" et départage les artistes opportunistes qui se lancent dans le rap. C'est bien souvent le flow qui distingue les bons rappeurs des mauvais. On pourrait avancer que le flow est une façon d'approcher la performance lyricale/textuelle afin de le rendre en chanson, mais ce ne serait pas tout à fait juste. Bref, toujours est-il que le rap se veut plus musical que du simple spoken word. Et c'est ici que le problème semble se situer. Comment départager les deux quand on sort du cadre référent du texte et de la chanson? Peut-il y avoir du rap sur une musique arrythmique? Dans la perspective que je propose ici, c’est la personne qui est plus importante que le résultat. Le rappeur, outillé à la performance vocale, à l’improvisation freestyle, peut briser le carcan et sortir du moule, cela demeurera néanmoins du rap. Et c’est en effet à ce niveau qu’on peut déplorer le manque d’audace de certains. Des rappeurs ont pourtant essayé, plusieurs bons freestylers ont tenté leur chance en formule live mais les exemples sont peu nombreux.

Dans cette tendance, il semble que la côte ouest américaine possède une longueur d'avance et s'est montrée plus à l'affût de ce genre de métissage. L'exemple le plus frappant est le crew Freestyle Fellowship et les nombreux artistes/projets qui ont découlé du Project Blowed. Peut-être est-ce aussi une forme d'héritage inconscient du Good Life Cafe. Myka 9 est probablement un excellent exemple de rappeur qui a tenté de briser le moule en développant un flow particulier en "double-time" ainsi que des tentatives d'expérimentations sur les intonations et la rythmique. Son oeuvre est riche et foisonnante d'exemples du genre, je retiens cependant comme exemple sa tentative de scat sur un beat de rap.





Pour un rappeur qui aurait reçu une balle dans la tête et a survécu, il s'en tire quand même bien.

Une autre porte d'entrée dans le West Coast va nous faire prendre le détour du label Mush, qui s'est présenté à la fin des années 90 comme la fine pointe de l’avant-garde Hip-Hop. C’est ce label qui a permis à plusieurs de découvrir l’étrange association du rap et du free-jazz. Tout d'abord, sur la compilation «Rope Ladder 12 » (2000), une des premières sortie du label, on peut entendre la pièce de Pedestrian et Doseone « Generation of Dead Beats », où un violon se laisse aller dans une improvisation déchirante à la toute fin sur un beat bancal. L'album au complet se veut une introduction au monde étrange du rap expérimental, présentant à l'auditeur une sélection quasi exhaustive de ce qui faisait à l'époque.




Mush ont aussi sorti le disque « Pyramidi » (2001) de Radioinactive. Un disque construit à partir d’échantillons de free-jazz mais qui reste très structuré, Radioinactive n’ayant utilisé que des échantillons en quatre temps. Grand fan de free-jazz, Radioinactive a aussi sorti le très bon disque "Free Kamal" avec le beatmaker Anti-Mc où on reconnaît plusieurs échantillons de jazz, dont Alice Coltrane. D'ailleurs, Radioinactive fait parti du crew Shapeshifters, avec Existereo, Subtitle et plus particulièrement Awol One. Sur ce dernier, on retient l’étrange collaboration, toujours sur Mush, avec le producteur angelino Daddy Kev « Slanguage » (2003). Une première "vraie" tentative de mélanger le free-jazz et le rap. C’est surtout la production de Daddy Kev qui est originale et qui incorpore de véritables échantillons de free-jazz; saxophone atonal, piano déconstruit et rythmiques libre. La performance d’Awol One, par contre, est plutôt fade: il freestyle sans grande conviction et la nonchalance typique de son flow semble juste flotter au-dessus des morceaux échantillonnées de Kev et des scratchs du Dj D-Styles sans vraiment plonger dans l'intensité véhiculées par les "beats".




Peut-être insatisfaits du résultat, ou convaincus qu’ils pouvaient aller plus loin, Daddy Kev et D-Styles ont retenté l’expérience et se son adjoint les services du rappeur The Grouch (toujours de Los Angeles) pour créer le disque « Sound Advice » (2003), selon moi la plus grande réussite d'une rencontre entre free-jazz et rap. The Grouch est beaucoup plus habile que son prédécesseur et parvient à déconstruire son flow pour se poser adéquatement sur la musiques beaucoup plus free. Excellent disque quoiqu'un peu court. Le morceau «Dollars For Not » est définitivement la pièce manquante de tout ce puzzle.





Il semble que Daddy Kev soit l'artisan principal de cette rencontre,chaînon manquant de l'évolution du free-jazz au rap. S'exposant à beaucoup plus de risques que la musique d'un Madlib par exemple, celle de Daddy Kev semble vouée à l'underground. On lui doit aussi la production du l'album "Cosmic Cleavage" de Busdriver, sorti sur Big Dada en 2004. Un album que plusieurs voient comme une tache dans le parcours de Busdriver mais qui reste somme toute, selon moi, son album le plus intéressant. Les beats sont très jazzy, touchant un peu au free mais quand même très structurés. Busdriver est un de ceux, de cette seconde génération du Good Life Cafe, qui a le flow assez agile pour réussir un tel exercice.



D'ailleurs, il a tenté le coup, un peu, de façon discrète. Un des projets les moins connus de Busdriver est le projet live fait avec Daedelus "Live Airplane Food", sorti en cd-r seulement. La rencontre des deux artistes s'est faite au travers du live et de l'improvisation. Daedelus est accompagné par d'autres musiciens et improvisent la musique alors que Busdriver improvise les paroles. Mais ce n'est pas de la haute voltige, tant au niveau musical que du rap...



L'autre artiste à avoir exploré l'improvisation en contexte de groupe est le rappeur Eyedea avec son projet Face Candy. Un des rappeurs les plus doués de sa génération en improvisation. Malheureusement, le décès prématuré de Eyedea a mis fin à l'exploration mais ils ont tout de même eu la chance de produire un disque intéressant mais somme toute anecdotique.
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dimanche 13 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 3


Le poète américain le plus connu pour son association avec le free-jazz est sans aucun doute Leroi Jones, connu par la suite sous le nom d’Amiri Baraka. Travaillant à l’élaboration du Black Arts Movement, Baraka s’est fait la voix des jazzmen de l’ombre, ceux qui refusaient toute étiquette et qui ne cherchaient qu’à se libérer d’un carcan musical construit par les attentes de l’Autre, le consommateur blanc. Ses collaborations les plus connues sont l’album "A Black Mass"(1968) avec le Sun Ra Arkestra, sa collaboration avec le batteur Sunny Murray sur « Sonny’s Time Now »(1965) et sans oublier le disque du groupe The Jihad « Black and Beautiful …Soul and Madness » (1968), trois albums parus sur le propre label d’Amiri Baraka, Jihad Productions, qu'on peut trouver ici . Il faut souligner aussi les magistrales collaborations au sein du New-York Art Quartet avec John Tchicai, Milford Graves, Ruswell Rudd et Lewis Worrell. Il a aussi publié le livre « Blues People » (1963), qui, s’il était écrit aujourd’hui aborderait la musique rap et si on se fie à ses dernières conférences sur le sujet, décrierait la mainmise des corporations sur la musique et l’ineptie des messages proposés par les rappeurs populaires. Mais faire le lien entre Amiri Baraka et la rap suppose de faire un pas de géant. Quand on l’entend déclamer ses textes sur la musique de Sunny Murray, par exemple, il y aune intensité, ou une liberté qui se contraint mal du rap.





Un lien plus évident, que j'ai découvert grâce à la récente réédition du disque de Bill Plummer and The Cosmic Brotherhood, nous met en contact avec un proto-rap datant de 1968. Sur la pièce « Journey to the East» Hersh Hamel, joueur de basse et de sitare, livre un spoken word rythmé et quasi chanté, sur une pièce indo-jazz psychédélique. Sa façon de déclamer son texte est beaucoup plus proche du rap que beaucoup de ses contemporains, car il intègre ici un aspect important du rap, soit le flow. Ce disque est sorti originalement sur le label Impulse mais vient d’être réédité cette année par l’étiquette Get On Down. Un excellent disque de jazz et de reprises pop avec des instruments indiens. Cela étant dit, on peut quand même se le procurer sur Mutant Sounds.




Suite aux années soixantes, d’autres poètes contemporains ont tenté l’expérience, on pense entres autres à David Budbill et sa collaboration avec le contrebasiste William Parker « Zen Mountains Zen Streets » ou le Judevine Mountain Trio avec l'ajout du batteur Hamid Drake. Mais l’association poésie et musique expérimentale demeure marginale, même aujourd’hui. Il faut explorer des réseaux de diffusions littéraires plutôt que musicaux pour dénicher les perles et quant au free-jazz, l’association se fait de moins en moins. La distinction entre free-jazz et musique expérimentale acoustique se fait aussi de moins en moins évidentes, ce qui donne lieu à des disques hybrides, improvisés mais s’éloignant du jazz. Deux disques intéressants dans le genre demeurent deux albums solos du chanteur/conteur Robin Williamson du Incredible String Band sortis sur ECM. On remarque la participation lumineuse du violoniste Mat Maneri, du contrebassiste Barre Phillips et du saxophoniste Paul Dunmall.



Beaucoup plus près de nous, on peut entendre Ian Ferrier et son disque/livre «Exploding Head Man », le poète Patrice Desbiens accompagné par le groupe Les Moyens du Bord et le disque de Fortner Anderson « Solitary Pleasures », qui sortira prochainement sur & Records, où il est accompagné de Michel F. Côté, Sam Shalabi et Alexandre St-Onge. Par contre, dans le registre free-jazz, le plus récent disque que j’ai entendu qui met en scène une parole poétique est le dernier album de Matana Roberts sorti sur le label Constellation « Coin Coin Chapter 1 : Gens de Couleurs Libres ». Parce que Roberts cherche à se réapproprier une trame narrative historique propre à son histoire personnelle, l’utilisation de la voix devient un incontournable. Par le fait même, elle a produit un disque d’une rare intensité, proche du fabuleux disque d’Eddie Gale « Ghetto Music » (trompettiste qui a joué avec The Coup). Elle utilise la voix comme l'ont fait avant elle les Linda Sharrock et Patty Waters, elle chante, déclame, hurle, crie, tout pour se réapproprier la dit-mension de la parole. Un des meilleurs disques de free-jazz écouté cette année.

lundi 7 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 2


Mais le propos qui nous intéresse est plus pointu, plus obscur, il questionne essentiellement la non-rencontre de l’art vocal du rap et du free-jazz. Et qui dit free-jazz, dit aussi « Fire Music » new-yorkais; un free-jazz urbain, afro-américain qui est né dans le même environnement que le hip-hop moins de vingt ans plus tôt. Il est étrange de parler de non rencontre, ou de non-lieu d’une rencontre, quand on parle de ces deux styles car la ville de New-York a joué un rôle important dans l’émergence des deux genres. Si le constat est plus difficile pour le free-jazz, il demeure plus évident pour l’ensemble de la culture Hip-Hop, celle-ci s’étant consolidée dans les rues du Bronx. Nous sommes au milieu des années 70. Quelques années auparavant, Albert Ayler, Ornette Coleman, Cecil Taylor, Sun Ra (de 1961 à 1970), occupent la ville et tentent de survivre comme ils peuvent en s’accrochant à leurs explorations et en réinventant les genres. Le trompettiste Bill Dixon organise de son côté l’ « October Revolution » en 1964. D’où vient la faille, la cassure entre les deux genres pourtant géographiquement très proches? Peut-on penser que l’exode massif des musiciens en Europe a fait taire le free-jazz dans les clubs et les lofts de New-York, sont caractère « uncool », son manque de commercialisation et sa nature underground ont nui à sa réappropriation par un genre musical en quête d’identité et de richesses ?



On pourrait penser que l’association avec le free-jazz, la Fire Music, aurait pu s’accomplir. Mais il semble que dans les deux démarches, une scissure infranchissable les sépare. Si le hip-hop a pris naissance dans les mêmes terreaux fertiles que le free-jazz, et s’est associé aux mêmes valeurs et revendications, comme la voix du peuple afro-américain en marge des grands courants musicaux modernes et commerciaux, ceux-ci ne se sont jamais rejoints, ou du moins, pas comme plusieurs l’auraient espérés. Peut-être que cette non-rencontre résulte d’une erreur méthodologique que plusieurs font en ce qui concerne la naissance du hip-hop et du rap en particulier. Car il apparaît pour certains que le hip-hop tient plus du reggae et du dub et que l’émergence des mc’s s’approche plus des toasters jamaïcains que des artistes spoken word. Par ailleurs, si le spoken word d’Amiri Baraka était soucieux de véhiculer un message et de s’adresser à la population afro-américaine, les premiers mc’s du hip-hop étaient beaucoup plus intéressés à faire la fête et divertir les gens…



Il est intéressant de noter au passage que les premiers poètes connus pour avoir posé leur voix soutenus par des musiciens jazz étaient associés aux beatniks; Jack Kerouac, Allen Ginsberg et surtout Leroi Jones (qui deviendra Amiri Baraka). Les deux mouvements se situant en marge de la société lors de leur rencontre vers la fin des années 50. Par la suite, les exemples les plus connus de jazz et spoken word sont ceux de Gil-Scott Heron et de son groupe The Last Poets ainsi que The Watts Prophets, ces deux groupes étant souvent considérés comme des précurseurs du rap. Mais est-ce bien vrai? L’association spoken word et jazz s’est fait naturellement au sein d’une communauté afro-américaine en pleine révolution (voir le livre "Free Jazz Black Power"). La parole devenait un élément d’émancipation, car lorsque se libère une voix qu’on a fait taire pendant deux cent ans (et plus!) elle ne peut qu’être consciente de son poids, de la force de ses mouvements. Mais la suite, dans ce continuum d’expérimentation révolutionnaire, s’est fait de façon plus discrète, moins ouverte, et surtout moins populaire. Quand les textes cherchent à passer un message, il leur faut un support permettant leur diffusion au plus grand nombre. Et le free-jazz s’avère être un mauvais médium pour atteindre cette finalité.



samedi 5 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 1


Le fanzine Tout Va Bien m'a demandé de collaborer à leur prochaine édition et j'ai accepté avec joie. Lorsqu'ils m'ont signifié que je pouvais écrire un texte de 4000 caractères, mon peu de vocabulaire m'a fait comprendre 4000 mots... Je me suis donc lancé dans l'écriture d'un article retraçant la rencontre entre deux formes d'art qui n'a presque pas eu lieu et qui , encore aujourd'hui, est dans un non-lieu (presque) malgré les différents efforts/tentatives de forcer cette rencontre. J'ai donc revu mon propos et raccourci mon texte après vérifications, mais voici quand même ce qui aurait dû être. Notez que je m'adresse ici plus aux amateurs de free-jazz que de rap et que 4000 mots c'est long, voici donc la première partie:

L’association entre le jazz et le rap s’est fait de façon naturelle, comme le rhum & Coke, la substance enivrante se diluant dans le saccharose, teintant légèrement le goût des bulles. De mon point de vue, si on poursuit la métaphore, le rap est l’agent alcoolisant et le jazz l’édulcorant. Car c’est ce qu’on retrouve trop souvent; la version diète du jazz, propre, se mélangeant trop bien aux conventions de la musique Hip-Hop la principale étant de suivre une rythmique en quatre temps. Soixante ans d’histoire du jazz ont toutefois mené à un métissage fade et peu savoureux. Enfin, pour l’amateur de jazz marginal. Car les exemples de réussites sont quand même nombreux, l’association jazz et Hip-Hop a donné lieux à de très belles rencontres et des disques grandioses, que ce soit l’esthétique du collectif Soulquarians, le mouvement Native Tongues, les grands albums de De La Soul, de Tribe Called Quest,Common, Pete Rock, People Under The Stairs, Digeable Planets... la liste est longue.





Le réputé label Blue Note à même ouvert ses voûtes au beatmaker californien Madlib,avec l'album "Shades of Blue" lui permettant d’explorer et d’exploiter un catalogue qui en ferait savourer plus d’un. Mais pas moi. Si Madlib a pousser légèrement la note avec le premier album de Yesterday's New Quintet, les autres qui ont suivi ont sombré trop facilement dans l’esthétique nu-jazz, frôlant de trop près les bases de la nouvelle muzak. On s'ennuyait donc de Lootpack. Il en va de même pour ceux qui ont tenté l’expérience avec des musiciens live, Guru et Jazzmatazz (1993) est probablement le meilleur exemple mais on ne peut pas s’attendre à quelque chose de révolutionnaire lorsqu’on collabore avec Branford Marsalis (allez lire le lien). Par chance la présence de Guru contribue à rendre cet album un incontournable du genre. Ainsi, l’amateur de rap y trouvait bien quelque chose de rafraîchissant mais l’amateur de jazz n’était que légèrement rassasié. Plusieurs années plus tard, il se produisit la même chose avec le deuxième album du trompettiste Erik Truffaz « The Dawn » sorti sur Blue Note en 1998. Truffaz proposait un jazz contemporain où il s’appropriait indûment les services du rappeur suisse Nya. À l’époque on pouvait trouver l’idée bonne mais aujourd’hui encore, le résultat à mal vieilli; du rhum cheap mêlé à un Pepsi diète flat…



Les années 90 auraient pu, quant à elles, changer légèrement le visage du Hip-Hop et du jazz mais on ne les a pas averti. Elles sont donc passé à côté. Les dangers inhérent à la génétique peuvent contribuer à donner naissance à des enfants qui se ressemblent à peu près tous, partageant le même bagage génotypique. Ainsi, ce brassage incestueux à donné naissance à l’enfant hassidim de la musique; le trip-hop. L’utilisation de la rythmique en quatre temps propre au Hip-Hop à permis l’émergence de nombreux beatmakers et DJ’s mêlant jazz et beats. L’émergence du label Ninja Tune en est un bon exemple. Certains musiciens de jazz se sont aussi baignés dans les eaux calmes du trip-hop et on fait des choses intéressantes, entres autres Nils Peter Molvaer à ses débuts avec l’étiquette ECM. Mais en se confinant à une rythmique en quatre temps, on perdait un élément qui révolutionné le jazz dans les années soixante; le jazz modal, l’improvisation, l’arythmie cardiaque

lundi 10 octobre 2011

Village Of Spaces: "Alchemy and Trust" (Corleone Records/Turned Word, 2011)



C'est toujours bien de retourner à la musique folk de temps à autre. Après les soubresauts de l'expérimentation, mieux vaut se retrouver en des eaux plus calmes pour contempler la vie et surtout se laisser porter par les paroles. C'est dans le folk que je retrouve les paroles les plus touchantes, la mise en musique minimale sert parfaitement à la poésie latente qui ne demande qu'une oreille réceptive pour se déployer dans toutes sa splendeur. Et quand folk et expérimentation se mêlent, on goûte souvent à une extase irremplaçable; deux joies qui se conjuguent, un plus-de-jouir qui nous fait dire que la vie vaut la peine d'être vécue et surtout, entendue. Il existe de nombreux groupes folk mêlant expérimentations et paroles enivrantes, mais chaque nouveauté vaut la peine d'être soulignée.

C'est sur le site de Volcanic Tongue que j'ai découvert une de ces perles. Le dernier album du groupe Village of Spaces "Alchemy and Trust", une réincarnation du Uke of Spaces Corners. C'est alors que je me suis souvenu: j'avais déjà acheté un disque de Uke of Spaces Corners, il y a quelques années, une recommandation de Time-Lag Records. J'y suis donc retourné par le fait même. Village of Spaces est l'oeuvre de Dan Beckman et d'Amy Moon, les deux ont voyagé entre Portland (Maine) et Portland (Oregon)et ont enregistré cette collection de chansons dans diverses locations. Ce déplacement géographique m'a instillé des rapprochements avec d'autres musiciens du genre, tels ceux issus des cendres de Cerberus Shoal et du groupe Fire on Fire. Eux aussi ont concilié folk et expérimentation et ont sortis de nombreux albums dignes de mention. Notons au passage celui de Chris Sutherland "Me In A Field" paru sur Digitalis, le fabuleux album de Fire on Fire "The Orchard" sur Young God Records et le duo de Caleb Mulkerin et Colleen Kinsella, qui enregistrent sous le nom Big Blood.





Ainsi, le rapprochement est de plus en plus évident quand on retrouve Kinsella et Mulkerin sur la pièce "Forget Me Not". Il s'agit bien de la même scène musicale. On retrouve aussi l'inénarable Michael Hurley au violon sur une chanson et on remarque particulièrement la présence d'une certaine Caethua, musicienne/chanteuse qui vient également de sortir un album aussi sur Turned Word, sur deux chansons (accompagnés d'Andy Neubauer à la basse). En passant, son disque "The Summer is Over Before It's Begun", après une première écoute est très bon malgré une pochette passablement horrible. Quelques invités donc, mais c'est surtout le duo Beckman/Moon qui prend toute la place, leur harmonies vocales retenant particulièrement notre attention. C'est cependant Dan Beckman qui occupe l'avant-plan, avec une voix agréablement nasillarde, un peu plus haute que celle de Dylan.

Petite parenthèse sur l'album de Uke of Spaces Corners que je possédais déjà. "Albumen/Ovum" sorti en 2009, semble plus être l'oeuvre d'un seul homme (Beckman) et de ses amis. Les harmonies vocales sont moins à l'avant-plan et les expérimentations sont beaucoup plus foisonnantes, ce qui rend le disque un peu plus cryptique. On y retrouve une pièce "Eggs Influence", reprise sur "Alchemy and Trust" sous le titre "Ovum Influence", bénéficiant d'une meilleure captation sonore et d'arrangements plus travaillés. D'ailleurs, cette chanson représente parfaitement le travail du duo Beckman/Moon nous entraînant dans une composition cyclique, un genre de spirale ascendante qui nous élève tranquillement au-dessus du marasme de nos vies quotidiennes. Village Of Spaces nous gardent quand même près de la réalité et nous proposent un folk terrestre, qui pousse dans les champs de blé et qui, lorsqu'il rencontre les bons ingrédients, peut se transformer en une nourriture apaisante.


jeudi 22 septembre 2011

Smegma & Jozef Van Wissem : "Suite the Hen's Teeth" (Incunabulum, 2011)


C'est étonnant de constater que certains artistes commandent notre attention. Dès les premières mesures d'une pièce on se sent captivé et entraîné par la musique, vers un monde où on en ressort rarement indemne. Parfois les premières mesures suffisent, parfois tout se gâche dès que se déploie la structure de la chanson. Mais des fois, la structure ne se déploie jamais; elle reste figée dans le temps, prise dans une répétition infernale présentant peu de modulations. Certains appellent ça du minimalisme... Le cycle répétitif peu apaiser, endormir ou même exaspérer. Quand j'ai vu le groupe australien The Necks en concert pour la première fois, il y a quelques années, j'avais de la difficulté à réprimer une montée de rage, d'agressivité. La répétition m'avait terrassé, je n'étais plus capable de soutenir le poids de notes provenant des instruments de ce trio.

À un moment donnée, on a commencé à parler d'un certain Jozef Van Wissem, un musicien néerlandais qui faisait aussi dans le répétitif. Son caractère iconoclaste se révélait cependant par l'utilisation d'un instrument particulier; le luth médiéval (ou baroque). Un musicien qui tentait donc de sortir un instrument confiné aux orchestre de chambres, ou aux ensembles de musiques médiévales, de sa zone de confort. Et surement, par le fait même, se sortir de sa zone de confort à lui. Van Wissem depuis les années 2000, cumule les sorties d'albums, autant en solo qu'avec des collaborateurs. Pour ma part, je l'ai découvert en duos avec le guitariste Tetuzi Akiyiama (autre minimaliste, parfois) et avec le guitariste Gary Lucas, qui jouait au sein du Magic Band de Captain Beefheart. Deux disques très différents; le premier est beaucoup plus abstrait et TRÈS minimal, tandis que que le deuxième est beaucoup plus mélodique et rythmé. Par la suite il a collaboré avec l'excellent guitariste James Blackshaw et ont formé le duo Brethren of The Free Spirits. Van Wissem naviguait donc dans les eaux connues de la guitare, des instruments à cordes similaires au sien. J'ai aussi eu la chance de jouer en première partie de son spectacle à la Casa Del Popolo dans le cadre du Suoni il y a quelques années. Sa musique solo est hypnotisante, méditative et nous entraîne dans un monde émotionnel où chaque notes de son luth résonnent avec les formations inconscientes peuplant nos manques.



Pour l'info, j'ai lu récemment que Van Wissem allait faire un album avec le réalisateur Jim Jarmusch et qu'ils avaient fait une chanson ensemble, parue sur le plus récent disque de Van Wissem sortie sur Important records, intitulé "The Joy That Never Ends". Mais je me lasse vite des artistes solo, en particulier des guitaristes (luthistes, whatever...). Il m'apparaît qu'après quelques disques (2-3) de guitare solo, il est temps de faire autre chose. Ainsi, je ne suis plus aussi excité qu'avant quand Glenn Jones sort un nouveau disque solo, par exemple, non plus quand Jozef Van Wissem le fait...

Van Wissem a également mis sur pied son propre label, nommé Incunabulum, qu'il utilise pour sortir sa propre musique mais aussi d'artistes qu'il apprécie. L'esthétique du label est très léchée, sombre, pochettes sérigraphiées reproduisant souvent des gravures médiévales ésotériques. Le noir et l'argent sont omniprésents.

C'est ainsi qu'en cherchant des nouveaux disques récemment, chez un disquaire où je mets rarement les pieds, je suis tombé sur des nouvelles sorties du label Incunabulum, dont deux totalement excellentes. Je vais ici parlé de celle qui m'a le plus jeté par terre, soit la collaboration entre Smegma et Jozef Van Wissem. Je connais peu la musique de Smegma, les seules occasions d'écoute m'ont laissée l'impression d'un groupe brouillon, un peu noise et, malgré tout ce que j'ai pu lire sur eux, ne m'a pas donné le goût d'en écouter plus. J'avais donc quelques appréhensions...



Peu d'informations sur la pochette du disque, on sait que Van Wissem joue du luth(!) mais on ignore de qui est composé Smegma pour cet enregistrement et quels sont les instruments utilisés. Il semble cependant qu'il s'agit plus d'une collaboration entre Van Wissem et Ju Suk Reet Meate, un des membres fondateurs de Smegma. Au niveau sonore, cela fait beaucoup de sens, car les pièces ne sont pas trop chargées et les différents instruments utilisés respirent suffisamment. Le seul "magma sonore" est le titre d'ouverture du disque :"Prélude", qui somme toute apparaît comme le morceau le plus démocratique du lot. Car naturellement, c'est le luth de Van Wissem qui occupe sensiblement l'avant-scène et ont peu parler d'accompagnements de la part de Smegma (d'ailleurs, le smegma n'accompagne-t-il pas... laissez-faire).

Excellente pièce d'impro "Fugue de la Psyche", Van Wissem propose un jeu plus épuré, moins mélodique et des sons de cloches, de vibraphone, de percussions, qui prennent une place plus importante, surtout quand Van Wissem entre et ressort dans passages rythmés mélodique et des passages abstraits qui laissent une place plus importante aux accompagnements. Mes morceaux préférés demeurent ceux où la trompette dissonante de Smegma partage les devants avec le luth de Van Wissem comme sur "Bransle de Chevaux" et "Courante la Pomme D'Or".

Franchement, un excellent disque. Dans la ligné de ceux qui ont tenté de mélanger guitares acoustiques et expérimentation/improvisation, dont la seule comparaison qui me vient est le disque (beaucoup plus construit) de Cul-De-Sac avec John Fahey.

lundi 12 septembre 2011

Huntsville: "For Flowers, Cars and Merry Wars" (Hubro, 2011)


Lors de mon passage au Festival de Musique Actuelle de Victoriaville en 2010, j'ai assisté à plusieurs concerts en raison d'une passe me permettant l'accès à toutes les salles. J'ai dû restreindre mes choix en fonction d'un séjour plutôt court au festival. J'ai néanmoins assisté à un concert soporifique dont la description sur papier m'intriguait. Il s'agissait du groupe Dans les Arbres, dont j'avais entendu aussi des critiques élogieuses, surtout sur les musiciens individuellement. Ce quatuor formé de Xavier Charles, Christian Wallumrod, Ingar Zach et Yvar Grydeland venait aussi de sortir un disque sur le prestigieux label ECM, garant d'une certaine qualité musicale. Un groupe qui explore les sonorités et les textures, qui pratique une musique non-idiomatique, s'éloignant des lignes mélodiques et de rythmiques pour privilégier le son. Ce genre d'improvisation m'apparaît souvent trop cérébrale et je décroche après un certain temps, surtout le lendemain d'une soirée bien arrosée...




Huntsville m'a permis de retrouver deux de ces musiciens; le percussionniste Ingar Zach et le guitariste Ivar Grydeland . Tous deux collaborent régulièrement dans la scène jazz expérimentale norvégienne. Outre Dans les Arbres, ils forment aussi le duo Visiting Ants et participent au groupe No Spaghetti Edition. Pour ce projet, ils se sont fait rejoindre par le contrebassiste Tonny Kluften, lui aussi associé à la scène jazz expérimentale et qui a joué avec de grandes pointures telles; Tony Oxley, Derek Bailey et Peter Brotzmann. Si je fait leur curriculum, c'est que le résultat de leur association dans Huntsville est plutôt surprenant.

Les trois musiciens ont concocté un album à saveur résolument krautrock/kosmische musik en privilégiant les rythmiques répétitives, les drones orientalisant et les ambiances psychédéliques. Ils ont réussi à faire un disque d'improvisation accessible et rafraîchissant. Alors que je m'étais assoupi au spectacle de Dans Les Arbres, Huntsville me tient vraiment réveillé. En ayant un souci rythmique, ils s'assurent de garder plus facilement l'attention de l'auditeur. D'ailleurs, le jeu d'Ingar Zach est fabuleusement riche; même s'il ne peut trahir ses origines, on reconnaît que son jeu est libre et improvisé, mais il le déploie en suivant diverses rythmiques et utilisant de multiples sonorités. Les trois musiciens ont une qualité d'écoute et de réponse incroyable, les lignes mélodiques se développent rarement et sont brouillées par les effets de distorsion.

La pièce titre forme le gros de l'album, toute la face du côté A. On retrouve sur ce morceau la chanteuse Hanne Hukkelberg pour les cinq premières minutes. Sa présence est un leurre car dès qu'elle s'estompe à l'arrière plan on s'éloigne du domaine de la chanson pour entrer dans le monde de Huntsville, où les drones de Kluften permettent à la guitare de Grydeland de se déployer. On a un peu de difficulté à discerner qui joue quoi et la présence d'électroniques vient brouiller les pistes. Cependant, quand le banjo et les handclaps embarquent, c'est presque jouissif.



J'apprécie énormément de voir des musiciens polyvalents capable de tremper dans différents styles d'improvisations.Cette superbe sortie sur le label Hubro se retrouve dans ma liste d'albums prétendants au titre de disque de l'année.

mardi 6 septembre 2011

Art Fleury: "I luoghi del potere" (1980, réédition Die Schachtel, 2007)


Ayant déjà abordé le sujet du mouvement Rock In Opposition, je ne me perdrais pas en conjonctures. La politisation de la musique m'intéresse de plus en plus ainsi que les groupes qui ont su incarner le politique dans une démarche artistique. Parmi ceux-ci, il faut souligner le groupe italien Art Fleury, qui en plus de militer pour la révolution, ont tenté de créer une révolution musicale à leur échelle. Le groupe a pris naissance au milieu des années 70's et les trois membres étaient affiliés avec un groupe d'extrême gauche radical nommé la Lotta Continua. Ce groupuscule compta parmi ses leaders l'écrivain italien Erri De Luca. À l'instar du RIO, le groupe se plaçait volontairement en marge des réseaux de diffusion traditionnels, prônant une indépendance totale. Même s'ils n'ont jamais adhéré à la famille du Rock In Opposition, Art Fleury ont tout de même partagé la scène avec Henry Cow.


Formé d'Augusto Ferrari (claviers), Maurizio Tomasoni (saxophone soprano, flûte, clarinette) et Giangi Frugoni (guitares, basse), Art Fleury ont tenté de s'opposer à la masse oppressante du capitalisme dans l'art et de libérer leur créativité au travers d'une musique à l'image de leur rêves et aspirations; libre de contraintes, nouvelle, révolutionnaire. Avec leur premier album "I luoghi del potere", ils ont aussi tenté de reprogrammer l'humain dans sa façon d'écouter la musique; en juxtaposant divers éléments sonores et en fracturant de façon abrupte toute tentative d'homogéinité mélodique pouvant mener à endormissement des masses. Un premier album hautement inspiré, mêlant les éléments du rock avec l'électronique, l'improvisation et les collages sonores. Les mélodies sont souvent brisées avant qu'elles ne se déploient dans leur totalité et les changement brusques de registre, souvent à l'intérieur d'une même pièce, incitent l'auditeur à rester sur le qui-vive. Ils proposent rien de moins qu'une nouvelle façon d'écouter la musique...



Naturellement, Art Fleury n'innovent pas dans cette réinvention de la musique. Ils suivent les traces des John Cage et Pierre Schaeffer de ce monde qui ont, pour leur part, vraiment révolutionné la musique et l'écoute. Par contre, ils tentent de faire sortir la musique des lieux de pouvoirs (I luoghi del potere), en particulier celui du système capitaliste régissant l'art et la musique. À la lumière d'une écoute actuelle, je ne saurais dire s'ils y parviennent mais ils ont réussi à créer un disque inventif et unique en son genre.





Il est intéressant de noter que l'Unesco vient tout juste de déclarer comme patrimoine mondial de l'humanité 7 "lieux de pouvoir", répartis dans toute l'Italie, qui sont en fait des lieux historique du culte catholique. On ne sait pas si l'expression "I luoghi del potere" était utilisée en 1980 pour désigner ces sept lieux de culte. Seulement, en nommant leur disque de cette façon, Art Fleury s'attaquent non plus à l'usine, l'école, la ville... mais aussi à la religion de façon directe; institution sociale contrôlante et pré-déterminante par excellence.


Die Schachtel ont fait un superbe travail pour la réédition avec un livret en anglais et en italien. Les illustrations du livret (et la couverture) sont magnifiques et, quoique crées spécialement pour la réédition, fidèles à l'aspect totalitariste de la musique telle qu'envisagée par le groupe. Pour les lecteurs montréalais, la Bouquinerie du Plateau vendent des copies neuves du disque ainsi qu'une bonne partie du catalogue de ce label.

mercredi 31 août 2011

"Music IS Rapid Transportation; from The Beatles to Xenakiss" ( Charivari Press)



Je viens de terminer la lecture d'un livre très intéressant chez Charivari Press. Il s'agit d'une collection de textes de divers auteurs canadiens (Lawrence Joseph, Dan Lander, Donal McGraith, Bill Smith, Alan Stanbridge, Scott Thomson & Vern Weber, édité par Daniel Kernohan) qui s'intéressent de près à la musique. Propriétaires de maison de disques, critiques, organisateurs de spectacles, musiciens à temps partiel, tous font le récit de leur entrée dans la musique sous forme d'une narration chronologique. Comment la musique pop (plusieurs mentionnent The Partridge Family...) de leur enfance leur a servi de portail vers un monde parallèle, celui des musiques spécialisées. Issus de générations différentes, les auteurs abordent leur parcours en s'arrêtant sur les moments marquants de leur vie; les concerts, la découverte d'un nouveau style musical et on note l'amorce d'une réflexion intéressante sur les êtres qu'ils sont devenus.



Ma réflexion est plutôt alimentée par le fait que les auteurs partagent entre eux de nombreuses expériences communes. La première est l'ouverture aux styles de musiques hors-normes à travers le jazz et le rock expérimental: Captain Beefheart, King Crimson, Frank Zappa, etc... Bref, des groupes qui ont réussi à être commercialisés tout en intégrant dans leur démarche des éléments et des idées appartenant à d'autres styles musicaux. Dans le cas de ceux tout juste mentionnés, c'est l'incorporation du jazz, de la musique classique contemporaine et la collaboration avec des musiciens issus de d'autres scènes (Jamie Muir avec King Crimson, par exemple, qui a suscité un questionnement. On remarquera au passage que ces auteurs sont de culture Anglo-Saxonne...



Deuxièmement, ils sont tous devenus des collectionneurs de disques. La recherche musicale semble avoir comme constante la fétichisation de l'oeuvre. Le désir de posséder l'objet devient envahissant et s'ensuit une course folle pour obtenir l'objet convoité. D'autant plus qu'à l'époque de l'avant-internet, socialiser avec les disquaires et s'abonner à des mailing lists de maison de disques, semblaient être les façons les plus accessibles pour avoir accès à des nouvelles musiques. Tous mentionnent aussi la nécessité d'une socialisation particulière, presque hiérophantique, avec des individus qui leur ont fait découvrir de nouveaux artistes et à quel point ces gens sont toujours importants pour eux.

Troisièmement, l'ouverture n'est pas que musicale. La plupart des auteurs font état aussi d'une ouverture au monde de l'art contemporain en général et sur la philosophie, les sciences humaines, etc... La musique ayant servi de point de départ à la découverte d'un autre monde. C'est la quête de possession qui semble être à l'oeuvre encore une fois. Possession intellectuelle cependant, pour s'approprier les idées qui infusent dans la musique.

Finalement, la dernière constante est que cette course folle a aussi permis l'ouverture à d'autres genres musicaux. Progression très naturelle. Je suis presque certain que ces quatre constantes se retrouvent chez tous ceux qui s'intéressent de près à la musique expérimentale. Juste en regardant mon parcours et celui d'amis proches, je peux dire que nous partageons en effet une démarche en tout point similaire.

Il faut donc suivre un fil d'Ariane qui mène aux travers des méandres du comportement humain pour arriver à en faire ressortir les signifiants. Quels sont ceux qui dictent une telle démarche? Bonne question dont je cherche encore la réponse. Pour revenir au livre, les auteurs ajoutent chacun à la fin du livre une liste personnelle de disques ou d'artistes qu'ils qualifient de majeurs et qui ont contribué à leur enrichissement musical. On ne parle plus juste de musique expérimentale ici. D'ailleurs un autre fait intéressant, c'est qu'ils retournent tous à un certain moment de leur vie vers des formes de musiques plus populaires... J'ai aussi été frappé par ceci de particulier: la plupart font mention du groupe Art Bears (et Henry Cow) comme étant un groupe ayant changé leur vie.



Art Bears était formé de Fred Frith à la guitare, Chris Cutler à la batterie et Dagmar Krause au chant. Ce groupe a pris naissance suite à la dissolution d'Henry Cow, à l'origine du mouvement. Des trois je ne connaissais que Frith, en raison de ses disques solos et des collaborations sur le label Tzadik dont Death Ambient et Massacre . Mais je n'apprécie pas encore toute la portée de Art Bears, je continue de penser que c'est un groupe pour baby boomers, faisant saliver ceux derrière la programmation du FIMAV... Peut-être que mon opinion va changer avec le temps, comme elle l'a fait si souvent.

Il va sans dire qu'après la lecture du livre je suis allé écouter plusieurs extraits de Henry Cow et Art Bears mais je ne m'y fais pas encore. Peu importe, car au delà de la musique, il y a toute l'idée derrière le fameux Rock In Opposition. Et c'est cela qui m'a intéressé le plus. Comment des groupes an marges des diffuseurs traditionnels sont arrivées à s'organiser et assurer leur survie par la distribution de disques, la mise sur pied de labels et l'organisation de réseaux de tournées. Un modèle qu'il serait grand temps de revisiter afin d'assurer la survie d'une scène musicale underground de qualité. Plusieurs groupes dans plusieurs pays d'Europe ont adhéré à ce que je me permet de qualifier de mouvement politique; entres autres Aksak Maboul en Belgique et Etron Fou Leloublan en France. j'avais déjà lu sur le mouvement et connaissais les groupes qui en faisaient parti mais on dirait que de plus en plus, j'en retire quelque chose de plus urgent. Comme le besoin de revenir à une politisation de l'acte musical, de faire une musique politique dans sa forme et pas nécessairement dans son contenu.



lundi 15 août 2011

Lewis Parker: "Masquerades & Silhouettes" (Melankolic, 1998)




Je ne l'avais pas vu arriver. Quand on m'a parlé de Lewis Parker pour la première fois, j'ai tout de suite pensé à un jazzman. Quand j'ai vu le disque, mon impression ne faisait que se confirmer. Mais on m'a assuré que c'était bien du rap, du bon. Que je pouvais glisser le cd dans mon lecteur et que je ne serais pas déçu. Qu'il s'agissait d'un grand album; cohérent, travaillé, des bons beats et des textes réfléchis. On m'avait dit la vérité. À partir de ce moment, "Masquerades & Silhouettes" m'a suivi partout en cassette, comme la trame sonore de la fin du millénaire, en symbiose avec mes préoccupations et mes questionnements.



En fouillant un peu, on voit que plusieurs amateurs partagent cette opinion, que ce premier album de Lewis Parker s'est imposé avec le temps comme un classique du rap U.K., au même titre que "Brand New Second Hand" de Roots Manuva. Sauf que le label ayant sorti ce disque n'avait rien à voir avec Big Dada et Ninja Tune, c'était plutôt le label du groupe Massive Attack, Melankolic, division de Virgin. Avec ce label, les musiciens de Massive Attack souhaitaient faire connaître des artistes underground de Londres, leurs collaborateurs ou des musiciens méconnus méritant une vitrine à plus grande échelle. Une équipe expérimentée était derrière le label et ils avaient les moyens de leurs ambitions; l'utilisation des échantillons est légale.

Ce qui frappe d'abord est la superbe direction artistique d'un certain Stephen Male; l'esthétique visuelle de la pochette est irréprochable, un clin d'oeil aux couvertures de LP de jazz avec seulement une silhouette qui marche sur la grève, souliers à la main. Rien de bien hip-hop... Surplombé d'une typographie classique avec un sous-titre qui nous éloigne encore de nos habitudes: "The Ancient Series One" (Il était supposé avoir toute une série d'albums de Lewis Parker mais finalement ça ne semble pas s'être concrétisé, il y a eu le "Ancient Series Three", mais pas de deux...). La production est assurée par Parker lui-même mais il est aidé par The Sea sur la prod additionnelle. J'ai comme l'impression que c'est cet apport qui scelle ce disque d'une formidable cohérence au niveau sonore. Peu de featurings aussi, seulement un certain Supa T sur deux pièces et la présence de DJ Bias sur la plupart des morceaux. Au résultat, un disque court; 8 chansons, 36 minutes, frôlant la perfection.



Lewis Parker se présente sous des crépitements de vinyles et des breaks poussiéreux, envoûtants, épousant les formes de sa mystique. C'est un rappeur en mission, qui développe au travers de ses chansons une trame narrative où il traverse le désert des faux-semblants pour pourfendre les wack mc's. Représentant d'un hip-hop libéré de ses artifices, son combat fait écho à celui de ses homologues américains avec les débuts d'Anticon, de Mush et d'une certaine intelligentsia underground américaine (New-Yorkaise principalement). Sauf que Parker est plus mélodique, plus lyrique et semble être moins nourri d'agressivité. Il reste calme et posé sur l'ensemble de l'album, laissant transparaître une attitude détachée, s'élevant au-dessus de la situation trompeuse du Hip-Hop de l'époque. De plus, il prône une transcendance, l'illumination pour accéder au savoir qui permet de distinguer le faux du vrai. Avec le recul cependant, on se rend compte que l'outillage de ses métaphore est un peu puérile; des métaphores de chevaliers, de jedis, "la force", le troisième oeil, etc. Rien de bien substantiel au final. Des clichés d'une spiritualité de masse, plus proche de la culture populaire que ceux véhiculé par Kunga 219 dans "Tharpa's Transcript" (par exemple).



Parker joue la carte du mystique sans trop approfondir. En gardant les concepts superficiels, il se garantit d'être compris par un plus grand nombre de personnes. Il parvient à écrire des textes hybrides entre la quête spirituelle véritable et les préoccupations futiles d'un jeune artiste hip-hop londonien. Mais comme beaucoup d'autres sa droiture spirituelle s'est affaissé après son premier disque (un peu comme Kunga 219, d'ailleurs...). Difficile de garder cette ligne directrice, surtout pour des considérations artistiques. Ça ne prends pas de temps avant de redevenir qu'un humain comme les autres. Pour la majorité des jeunes rappeurs qui ont exploré cette branche, le résultat est le même; ils finissent toujours par se heurter au dur sol de la réalité. Pas de pouvoirs extra-sensoriels, pas de complots, pas de magie. Juste leur pauvre égo aux prises avec la même réalité que tous les autres. On peut toujours se faire croire des choses, reste que la réalité nous rattrape toujours.


mardi 9 août 2011

Cut Hands "Afro Noise I " (Very Friendly, 2011)


Je suis très peu familier avec le groupe Whitehouse. Je ne sais pas si s'être submergé dans leur musique est un prérequis pour appréhender la musique de Cut Hands...

Cut Hands, les mains coupées. Il ne reste que des moignons noircis par le feu pour éviter que la gangrène se propage. William Bennett est un homme de concepts... et d'excès. Seul membre érigé de Whitehouse,groupe à géométrie variable depuis 1980, où Bennett et plusieurs collaborateurs ont exploré l'excès à travers la musique. Des signifiants hautement sexualisés qui servent à transgresser les tabous; perversions, viol, pédophilie, sado-masochisme... Bien souvent les mots qui ont accompagné la musique de Whitehouse étaient tout aussi provocateur et sexualisés, comme le soulignent les collaborations avec l'écrivain Peter Sotos. Est-ce que Cut Hands est différent de Whitehouse? Surement au niveau du contenant, mais je crois bien que le contenu reste le même. Je serais surpris de lire que Bennett a voulu faire un album léger avec ce projet, d'oublier les idées et les images qui infusent sa musique depuis plus de trente ans.

Si la Sharia prescrit aux législateurs de couper la main à celui qui vole, la sentence s'est pervertie et a affecté des travailleurs miniers et agricoles du Congo de l'ère coloniale. En fait, le mot travailleurs est bien ironique. Les mains coupées,; c'est le sort réservé à l'esclave qui ne sert plus à rien et dont on veut éviter qu'il travaille pour la compétition. Cette façon de faire a été décrié par plusieurs et l'élection démocratique de Lumumba ne mena qu'à son assassinat et au retour de l'exploitation.

Quel est donc le message que veut passer William Bennett avec Cut Hands, un projet dit "Afro-Noise" ? Bennett n'incarne-t-il pas le blanc colonisateur qui pille les ressources d'une culture pour la ramener à l'occident en tant qu'homme blanc conquérant? Où s'agit-il d'une oeuvre d'amour, de profonde révérence envers une culture qui le fascine? Y a-t-il une différence entre ses deux positions... bien sûr on peut nuancer. Reste qu'en raison de son parcours, je questionne l'intention.

Il y a quelque chose de profondément morbide dans la musique de Cut Hands; trame sonore d'un film afro-futuriste où des esclaves meurent dans des mines sombres, ne pouvant rêver que de la lumière du jour. Ils cherchent le salut dans la transe et la possession, les seules façons qui leur reste d'échapper à leur prison corporelle. Le mélange de noise et de percussions de style africaines est particulier. En mélangeant pecussions traditionnelles et synthétiseurs, Cut Hands parvient à créer une musique électronique hypnotisante et intrigante. Les pièces rythmées sont parfois entrecoupées de pièces de synthés mais l'introduction qu'est "Welcome to the Feast of Trumpets", avec sa rythmique plus posée est une de mes pièces préférée du disque.




Particulière aussi la vision fantasmatique de l'esclave africain qu'entretient Bennett; celle de l'animiste qui utilise la sorcellerie pour retrouver la liberté de son esprit. D'ailleurs il utilise comme image des vévés archaïques tracés par une certaine Mimsy De Blois. Dans le vaudou créole, les vévés sont tracés autour du potomitan (poteau central), la pochette du disque représente-elle ce phallus dressé à l'instar de l'album "Erector" de Whitehouse? Une chose est sûre, Bennett est parvenu à m'intriguer.




Je lisais récemment des trucs sur Throbbing Gristle, Psychic TV et leurs amis. En particulier sur le Temple Ov Psychic Youth (TOPY). Intéressante corrélation entre la magie, la sexualité et la musique

jeudi 28 juillet 2011

Shabazz Palaces: "Black Up" (Sub Pop, 2011)


Il y a déjà quelques mois que le nom de Shabazz Palaces circule sur les internets. Même le Wire a fait une entrevue avec Ishmael Butler aka Palaceer Lazaro, l'homme derrière le projet. Butler s'est fait connaître dans les années 90 sous le pseudonyme Butterfly, en tant que rappeur au sein du trio Digable Planets. Suite à l'arrêt de DP, l'homme s'est fait discret pour mieux revenir. Repenser son approche, faire des spectacles masqués (à la MF Doom), construire une mystique autour du projet et s'entourer de collaborateurs intéréssants entres autres, le percussioniste/rappeur Tendai Maraire et le duo féminin THEESatisfaction (à découvrir).

Car de nom, Shabazz Palaces fait directement référence à une mystique empruntée ouvertement à la mythologie du Nation of Islam. Shabazz est un personnage mythique, scientifique, guide d'une tribu royale qui a émigré en Afrique plus de 4000 ans avant notre ère. 13ème et unique tribu ayant survécu au cataclysme, toutes les nations descendent de la tribu de Shabazz. Ce nom fut aussi celui adopté par Malcolm X ainsi que par les membres de sa famille, il s'appropriait une descendance directe de la lignée de Shabazz:Malcolm Little aka El-Hajj Malik El-Shabazz aka Malcolm X. Une histoire de nom donc, d'héritage et de descendance.

Ainsi, les palais de Shabazz sont-ils les restes d'une légende, cachés sur des territoires isolés, que seul l'explorateur aguerri saura retrouver? Ou est-ce le fruit d'un travail de topologie, nécessaire pour situer une négritude afro-américaine dans l'inconscient du principal intéressé? Peut-être. On sait cependant que la feuille de route d'Ishmael Butler est longue. Que grâce à celle-ci, il amène ce que tous ces nouveaux rappeurs modernes n'ont pas: de la crédibilité. Voici un homme qui s'est voué corps et âme au Hip-Hop, s'est fait l'ardent défenseur d'un Hip-Hop conscient, apôtre de la non-violence et d'un éveil spirituel. Il revient maintenant au commande d'un projet Hip-Hop afro-futuriste solidement ancré dans ses racines. Et son discours reste sensiblement le même qu'à l'époque de Digable Planets; la libération intérieure des chaînes de l'égo, l'élévation, la découverte de soi, l'honnêteté et la transparence.



J'avais été très impressionné par les deux ep's de Shabazz Palaces sortis cet hiver, disponibles uniquement sur leur site internet. Les écussons arabisants servant de d'ornements aux pochettes se voulant une autre référence directe au Nation of Islam. Deux excellents albums de rap qui se complétaient et mettaient la barre haute pour un album complet. Mais Butler et ses compères ont su relever le défi en poussant l'enveloppe de la recherche musicale. C'était calculé, la réflexion et l'esthétique derrière «Black Up» semblent beaucoup plus mûres. De plus, Shabazz Palaces ont du soul, du vrai. Ils infusent de l'âme à leur musique avec des sonorités chaleureuses et une recherche musicale poussant vers l'originalité.




La principale qualité de l'album "Black Up" est son assise dans la culture afro-américaine. Shabazz Palaces parviennent à intégrer dans leur musique une multitude d'influences, surtout puisées dans les musiques dites noires; soul, jazz, rnb, rap et s'en servent comme moyen de transport pour sortir de notre système solaire. Bien souvent on rencontre des références lexicales sur l'espace, le cosmos, le voyage. On y voit rapidement un Sun Ra Arkestra des temps modernes. Cette constatation m'a d'ailleurs permis de me remémorer comment j'ai jalousé l'autre rappeur de Digable Planets, Cee-Knowledge, lorsqu'il a sorti en 2002 un single avec le Sun Ra Arkestra.



ALors que celui-ci restait dans l'idiome jazz/rap, Shabazz Palaces va plus loin et multiplie les références à ses racines africaines. Reste à voir jusqu'où ils vont aller, et si, à l'instar du Hip-Hop, ils ne vont pas finir par se scléroser dans une façon de faire.

mardi 26 juillet 2011

Épiphanie musicale 1: Die Like a Dog


Il y a des expériences musicales qui changent nos vies. Je l'ai écrit suffisamment sur ce blog mais je tenais à revenir sur une expérience particulière qui a transformé ma façon de voir la musique.

En octobre 2000, j'ai décidé d'arrêter de consommer toutes formes de drogues et à partir de ce moment, sans m'en apercevoir, j'ai commencé à remplacé le manque par autre chose. À l'époque je travaillais dans un magasin de meubles au coin des rues St-Denis et Marianne à Montréal. Un emploi pas très très compliqué ou je devais m'occuper de l'entrepôt et de l'emballage des meubles. J'avais par ailleurs beaucoup de temps pour moi, pour lire et écrire. Je commençais à m'intéresser au jazz et plus particulièrement au free-jazz et/ou expérimental. Sous l'impulsion du beatmaker d'Atach Tatuq 1-2 d'Piq, je découvrais un paquet d'artistes et des formes musicale dont j'avais aucune connaissance. Par un heureux hasard,un après-midi, je suis entré au magasin de disque l'Oblique, situé à un coin de rue de mon travail. Et j'ai commencé à acheter des disques. Plein de disques.

Je ne me souviens plus du premier disque que j'ai acheté là-bas, seulement que c'était un genre d'électro drum & bass qui se voulait expérimental. Un artiste local. Je me souviens par contre que je suis allé le retourner et qu'à partir de ce moment je n'allais pas être dans les bonnes grâces du disquaire. Mais j'ai fait à ma tête. J'ai acheté beaucoup d'albums, surtout sur le label Tzadik. Des albums que j'ai revendus pour la plupart mais quand même intéressants. J'ai découvert Derek Bailey, Fred Frith, John Zorn bien sûr, Masada, Ikue Mori, Otomo Yoshihide et bien d'autres... Par la bande j'ai aussi découvert le label Ambiances Magnétiques, Shalabi Effect, Godspeed You Black Emperor....

Précisons qu'avant 2000, je n'écoutais que du rap. De 95 à 2000 je suis passé de uniquement du rap américain, à uniquement du rap français, à uniquement du rap québecois, à uniquement du rap américain. Vers la fin de 2000 je m'ouvrais au jazz, au dub, à l'électro...

Je continuais d'écrire des textes de rap mais me dissociait de plus en plus du mouvement et de la direction artistique de mon groupe Traumaturges. Parallèlement, je pratiquais la méditation de façon quotidienne, me plongeait dans les écrits bouddhistes et autres doctrines ésotériques orientales. C'est avec toutes ces considérations en tête qu'une petite entrevue dans le journal hebdomadaire Ici (R.I.P.) a capté mon attention en avril 2001. Une entrevue d'un quart de page qui annonçait un concert du saxophoniste allemand Peter Brotzmann. Le concert avait lieu à la Casa Del Popolo, endroit dont je n'avais jamais entendu parler à cette époque. Je connaissais un peu la musique de Brotzmann, surtout par ses collaborations avec Bill http://www.blogger.com/img/blank.gifLaswell telles Last Exit et Low Life. J'ai réussi à convaincre un ami rappeur de Traumaturges (Égypto Boz) de m'accompagner pour ce concert, hésitant un peu à m'y rendre seul.

Je n'aurais jamais pu prévoir l'impact que ce concert a eu dans ma vie. Dans une Casa del Popolo pleine à craquer, j'ai assisté à une performance du Die Like Dog Trio, soit : Peter Brotzmann au saxophone tenor, tarogato et clarinette, William Parker à la contrebasse et Hamid Drake au drums. J'ignorais tout de ces trois musiciens, ignorais surtout que les deux autres (Parker et Drake) étaient des maîtres dans leur art. Je savais que les trois improvisaient mais ne savait pas qu'on pouvait improviser de cette façon: que c'était possible d'être libre et de communier avec le public, de par la musique procéder à une expérience mystique transcendant la dyade public-musiciens. Quelque chose de nouveau se créait, une troisième force conciliatrice permettait à l'évènement qui était en train de se produire de passer à un autre niveau. Un niveau où l'écoute est totale; nous permettant de faire un avec la musique et les musiciens. Je n'ai jamais éprouvé une telle expérience par la suite. À ce moment j'ai compris que je pouvais être libre, rien de moins.

Évidemment, par la suite j'ai recherché les enregistrements de ces musiciens. J'ai découvert le Die Like a Dog Quartet, avec le trompettiste japonais Toshinori Kondo,l'album de Parker et Drake en duo ainsi qu'une pléthore de jazzmen remarquables tels;Alan Silva, Albert Ayler, Kidd Jordan, Jemeel Moondoc, Sunny Murray, Sabir Mateen, Joe McPhee... J'étais lancé et rien ne pouvait m'arrêter à ce moment.

J'ai surtout découvert le fabuleux label Eremite, qui a sorti le concert du 10 avril 2001 cd double. Brotzmann/Parker/Drake: "Never Too Late But Always Too Early" dedicated to Peter Kowald, contrebassiste décédé l'année de la parution du disque, soit 2002.

Plus tard, j'ai vu des photos de ce concert affichées à l'Oblique. Prise par un certain Jocelyn Boulais. J'ai hésité longuement pour en acheter une mais ne l'ai pas fait et finalement elles ont été retirées du mur. Quand j'ai fait la connaissance de Jocelyn via Michel à l'Oblique (5 ans plus tard), je lui ai demandé s'il avait encore les photos, il m'a répondu que oui et m'en a offerte une pour ma fête. Un geste que j'apprécie encore grandement aujourd'hui.

jeudi 14 juillet 2011

Ginsberg's Inkling: "Ummmm" (Neferiu Records/ Pretentious Music, 2010)


Dans la catégorie" rap des provinces de l'ouest n'ayant jamais traversé la frontière de l'Ontario", on retrouve ce disque que j'ai découvert par hasard, sur le site de Phonographique (qui est passé de online store à un genre de blog...) lors de leur vente de liquidation. J'ai pris une chance à un coût dérisoire, celle de commander les deux albums de Ginsberg's Inkling, projet solo de John Creary. C'est le plus récent disque qui m'intérese ici, beaucoup plus mature et un flow se distançant de celui de Buck 65.

Je n'ai jamais, mais jamais entendu parlé de Ginsberg's Inkling. Le premier disque s'est vu mériter des critiques élogieuses dans le Exclaim (que je lis à chaque mois) en 2006, mais faut croire que j"ai passé tout droit. Creary est originaire des Maritimes et s'est relocalisé dans l'ouest canadien. Cela n'est pas sans importance car on sent une grande influence du hip-hop haligonien dans les deux disques. On peut penser que Creary a grandi en écoutant Sebutones, Josh Martinez, Recyclone et leurs amis. Comme mentionné plus haut, Creary sur son premier album intitulé «Half-Penny Marvel», adopte un flow qui ressemble un peu trop à celui de Buck 65 et qui est suffisant pour détourner mon attention de sa musique. C'est commme si j'étais incapable d'arrêter de me dire qu'il ressemble à Buck 65, m'empêchant d'apprécier le disque à sa juste valeur.

Par chance, il s'en éloigne sur «Ummmm» et nous propose un rap avec plus de personnalité. Cependant, on revoit ses anciens démons dans les morceaux au débit moins rapide où il adopte une voix plus rugueuse. Creary possède une excellente plume. Créatif et inspiré, il fait preuve de grande sensibilité poétique sur les morceaux plus tristes, me faisant penser un peu à l'excellent Brad Hamers à ce niveau. Les beats aussi sont intéressants, beaucoup d'échantillons de conversations ou de show d'humour, nourrissant une réflexion en filigrane sur les relations hommes-femmes et sur l'humain en général. Le disque s'essoufle un peu à mi-chemin mais se termine sur une bonne note, plus introspective. Soulignons la présence de DJ Braille sur la plupart des morceaux, qui me fait penser que les dj's sont désormais trop peu présents dans la musique hip-hop aujourd'hui. De plus, il me fait désirer travailler avec un dj pour des projets futurs d'Héliodrome...



Un disque intéressant qui mérite un meilleur sort que de sombrer dans l'anonymat