mardi 5 octobre 2010

Lil B :"Rain in england" (Weird Forest, 2010)




J'avais jamais entendu parlé de Lil B avant de tomber sur la plus récente liste d'Aquarius Records. Mon attention a été captée instantanément et les extraits proposés ont complété l'hameçonnage. Avec un nom comme Lil B, si j'étais tombé sur cet artiste avant, je l'aurais surement discrédité sans vraiment porter attention à son oeuvre et sa démarche. Et je serais passé à côté de quelque chose de vraiment particulier.

L'histoire de Lil B est somme toute connue; rappeur de Berkeley en Californie, âgé de 20 ans, fait parti d'un collectif juvénile nommé The Pack et a envahi Myspace avec une centaine de comptes différents. Il a aussi fait un video avec Soulja Boy, ce qui a grandement contribué à le faire connaître. Mais il est aussi très prolifique sur Myspace, Twitter et Youtube,etc. Lil B sait utiliser les réseaux sociaux à son avantage et les utilise bien.



Toute une démarche créative sous-tend sa musique et c'est une des chose qui le rend fortement intéressant. Autoproclamé "Based God", ce dernier a nommé sa démarche artistique comme étant des "Based Freestyles". Dans ses propos, il semble que Lil B a toujours été celui qu'on considérait comme étrange, le bizarre du groupe. Il se faisait traiter de "Basehead" (synonyme de crackhead) par les gens autour de lui en raison de son étrangeté . Seulement celui-ci s'est approprié l'insulte et l'a détourné à son avantage, lui donnant une signification tout autre, soit une appellation lui permettant de nommer le caractère unique de sa démarche. Ce faisant, il se permet une liberté artistique totalement incroyable. Beaucoup de ses chansons sur Youtube sont salaces et vulgaires, traitent de bitches, de grills, d'armes à feu, mais en même temps il se traite lui-même de tapette et de princesse...



Voilà qu'il vient de sortir un disque fascinant sur le label Weird Forest, qui a sorti plus tôt cette année le merveilleux disque de Mark McGuire (du groupe Emeralds) "Tidings/Amethyst Waves". Sur ce disque, Lil B rappe sur des nappes de synthétiseurs, sans beats. Un disque de rap New-Age, en lien direct avec tout la mouvance dite hypnagogique, se rapprochant musicalement d'artistes tels Emeralds, Oneohtrix Point Never et Dolphins in the Future. Produit par The Based God, on peut présumer que c'est lui qui a produit la totalité des pièces planantes qui composent ce disque. Sur 14 morceaux, Lil B nous livre son monde intérieur de façon surprenante, s'exprimant sur des thèmes très personnels qui lui permettent aussi d'exposer sa philosophie de vie. Il aborde ses craintes, les femmes, le rêve, la famille... C'est par moment d'une honnêteté étonnante, qu'on se surprend à se sentir voyeur. On reconnaît parfois le phrasé et les images d'un Saul Williams ou même de Killah Priest sur "Temple of the Mental". La majorité des morceaux durent plus de 5 minutes et sont exempts de refrains, ce qui m'amène à apprécier encore plus la démarche de cet artiste atypique...

Sauf que Lil B n'a pas la voix de Saul Williams et son flow reste somme toute monotone et redondant. Sur quelques pièces seulement s'autorise-t-il a chanter faux, mais cela apparaît comme bienvenue dans cet ensemble plutôt monochrome. La composition musicale est aussi un peu redondante, reposant surtout sur des notes de synthétiseur tenues à la manière de drones. Reste que ce disque est hypnotisant. Il me fascine de plus en plus, surtout dans l'écoute des propos de Lil B, qui semble osciller entre l'improvisation et le texte à l'intérieur d'une même chanson. Je me suis surpris à m'intéresser au cheminement de son inspiration et ses associations d'idées et surtout comment il enchaîne les images. Il dit lui-même qu'il tente de laisser parler son inconscient à travers ses freestyles (tiens tiens, ça me rappelle quelqu'un) et c'est en effet assez riche pour qu'on s'y perde momentanément. Car je doute quand même du côté totalement improvisé de la chose, car on aurait droit à des accrochages et des lapsus intéressants. Quoique certaines pièces sont livrées avec un débit plus près du spoken word, ce qui peut faciliter l'enchaînement des mots et des idées, improvisées ou non.

Bref, j'aime Lil B. J'aime quand un artiste ne se confine pas à une image et se permet de faire ce qu'il veut, vraiment ce qu'il veut.


vendredi 1 octobre 2010

Masayo Asahara : "Saint Agnes Fountain" (Audiolaceration , 2005)



Tromperie, parade...

C'est sous ces thèmes que se révèle ce disque intrigant et remarquable. Les notes du livret situent l'enregistrement et la composition de cette oeuvre en 1974. Masayo Asahara est alors étudiante à l'université d'Osaka et complète un doctorat portant sur les minimalistes américains tels LaMonte Young et Tony Conrad. Sous l'influence de groupes plus rock comme Faust et Soft Machine, elle décide d'enregistrer une de ses compositions fusionnant la musique minimale et le rock plus progressif.

S'ensuit un des meilleurs disques que j'ai écouté cette année, composé de drones d'orgue parsemé de manipulations sur bandes et augmenté d'une bonne dose de free-jazz. J'ai rarement mis la main sur un disque qui incorporait aussi bien différents genres de musique que j'affectionne. Avis à tous: il est incompréhensible que ce disque ne se soit pas faufilé dans les palmarès de musique obscure des années 70. Incompréhensible car tout simplement sublime.

L'histoire est quand même bien ficelée: seulement quelques copies en "test press", distribuées aux musiciens et amis, et qui finissent par sombrer dans l'oubli. Les musiciens sont nommés sur la pochette, l'histoire contemporaine de Asahara est relatée, une photo d'elle à Stonehenge... D'emblée la table est mis pour faire saliver tous les collectionneurs et aficionados du genre, moi en premier.

Seulement, une rapide recherche sur les internets nous montre que nous avons été floués. Il s'agit plutôt d'une oeuvre très contemporaine, composée en 2002 par un certain Martin Archer, l'homme derrière le label de musique improvisée anglais Discus. Il est aussi un musicien méconnu qui trempe dans le free-jazz et la musique électro-acoustique. Il a récemment sorti un disque en duo avec la vocaliste Julie Tippetts qui s'est attiré des critiques élogieuses. Néanmoins, on en ressort avec le sentiment de s'être fait tromper.

Pour Lacan, l'amour est le résultat d'une tromperie où on parvient à convaincre l'autre que l'on possède ce qui lui fait défaut, donc de donner ce qu'on n'a pas. Cette dynamique est superbement exemplifiée avec ce disque de Martin Archer et le sentiment qu'il a suscité chez moi au début était tout aussi fascinant que de tomber en amour. N'ai-je pas déjà dit que ma recherche amoureuse et ma recherche de disques sont étroitement liées? C'est encore plus vrai en prenant ce pas de recul que ma fait vivre non pas la musique du disque, mais toute l'image qui l'entoure.

Par ailleurs, sur la pochette, nous avons une toile datant de 1450 du peintre Jean Fouquet. Elle fait partie d'un dyptique célèbre et représente la Vierge Marie donnant le sein à un enfant Jésus surprenamment joufflu (et âgé). Il s'agit d'une des rares représentations de la vierge où elle dévoile la totalité d'un de ses seins. L'histoire raconte qu'il s'agirait plutôt d'un portrait, celui d'Agnes Sorel, première maîtresse officielle d'un roi de France. Celle-ci serait morte à l'âge de 28 ans et de récentes recherches avancent qu'elle a surement été empoisonnée au mercure. Il est étrange qu'un portrait de la Vierge Marie soit en fait inspirée par une femme qui est tout sauf vierge... L'oeuvre en fait n'est surement pas ce qu'elle paraît. Ce dyptique fut une commande d'un certain Etienne Chevalier, qui fut "très proche" d'Agnes Sorel et aussi son exécuteur testamentaire. Peut-être s'agit-il d'une supercherie. On peut supposer Chevalier comme un amant proche d'Agnes et la seule façon pour lui de posséder la maîtresse du roi fut de commander son portrait sans que personne ne le soupçonne. D'ailleurs les anges et chérubins qui complètent la toile sont tous occupés à regarder ailleurs.