mercredi 19 mai 2010

La dette



Nous sommes tous plus ou moins endettés, artistiquement bien entendu. Quelqu'un quelquepart a avant nous exploré les sentiers sonores que nous explorons à l'instant. Dans la musique, les véritables innovateurs sont en fait très rares. Si je regarde mon parcours personnel, les tangentes actuellement prises par ma musique et mes intérêts, je ne peux que reconnaître devoir beaucoup à une certaine école artistique, qui est encore méconnue malgré son impact majeur sur la culture moderne.

Et non, je ne parle pas du Hip-Hop..

Ma plus grande influence actuellement vient plutôt d'un mouvement artistique ayant pris naissance à la fin des années 50 et au début des années 60, je nommerais ici le mouvement Fluxus.


Fluxus est à la base un regroupement d'artistes new-yorkais ayant entrepris de redéfinir les règles de l'art et de la création, avec comme assises, entres autres, l'oeuvre du compositeur John Cage. Ainsi, le mouvement Fluxus comprend de la musique, mais aussi du cinéma, de l'art visuel et de la littérature. Un peu comme le hip-hop finalement...

Naturellement, c'est par la musique que j'ai pris contact avec le Fluxus et ce sans le savoir d'emblée. Le premier artiste associé à ce mouvement qui m'a profondément marqué est sans contredit le saxophoniste allemand Peter Brotzmann. Il y a une bonne histoire derrière cette découverte. Quand j'étais jeune, mon père était abonné à la revue culturelle française Actuel, une revue comme il ne s'en fait plus. Je lisais assiduement ce magazine en raison des articles étranges, des photos chocs et bien souvent pour les photos de femmes nues. Ainsi, un début d'adolescence marqué par la puberté amis aussi par l'expérience de drogues psychédéliques. Dans un des numéros d'Actuel, j'avais été frappé par la critique d'un disque, du groupe Material, intitulé «Hallucination Engine». J'écoutais principalement du prog des années 70 à l'époque et le fait qu'un disque contemporain puisse servir à l'hallucination avait piqué ma curiosité. Quelques années plus tard, je suis tombé sur le dit disque au Renaud Bray sur l'avenue du Parc, lors d'un dîner fumerie au Collège Français sur Fairmount. J'y retournais le lendemain, sans aucune gêne, pour voler mon premier disque compact...




Bon, ce disque n'a pas eut l'effet escompté, je ne sais pas trop à quoi je m'attendais mais je me souviens de l'avoir mis dans le lecteur lors d'un de nos nombreux trips d'acide et d'avoir pensé que son écoute allait provoquer des hallucinations... Après les nombreuses protestations de mes amis et l'absence d'hallucinations (même si je me disais que ça allait venir plus tard) j'ai dû remettre «Ummagumma» de Pink Floyd. J'avais cependant découvert des nouveaux noms: Bill Laswell, Nicky Skopelitis, William Burroughs.... Mais c'est Bill Laswell qui m'a marqué le plus. Suffisamment pour que je le retrouve des années plus tard derrière un projet fascinant de hip-hop intitulé Material Intonarumori. Sur ce disque on retrouvait Laswell à la prod mais aussi Kool Keith, Ramm El Zee, Juggaknots, Killah Priest, Flavor Flav et d'autres moins connus (J'ai appris plus tard que Laswell avait produit des disque d'Afrika Bambaataa, mais ça c'est une autre histoire).




Par la suite, j'ai arrêté de me droguer intensément et j'ai commencé à m'intéresser à la musique expérimentale. Mon ami 1-2-d'piq avait un disque chez lui d'une collaboration entre Bill Laswell et Peter Brotzmann nommé «Low Life». Disque difficile encore aujourd'hui, que je n'ai jamais écouté au complet je crois. Cependant j'étais curieux et quand j'ai vu dans le ICI (quand c'était bien, en 2001...) que Peter Brotzmann jouait dans une salle qui m'était alors inconnue nommée Casa del Popolo, j'ai décidé d'aller y faire un tour. J'en suis sorti transformé. Brotzmann jouait ce soir là avec William Parker et Hamid Drake et lors de cette soirée s'est profilé ce qui allait devenir mon obsession; le free-jazz et l'improvisation.

Ce n'est que bien plus tard que j'ai appris que Brotzmann faisait parti du mouvement Fluxus.

Qu'est ce donc le Fluxus? On relie l'origine du Fluxus à la pensée de John Cage qui parfois prône la deconstruction des écoles musicales et remet en question l'idée de la virtuosité dans la musique. La musique, comme l'art, n'a pas à se limiter à des écoles de pensée ou à des diktats esthétique. Dans ce monde, tout est possible et chacun est un artiste potentiel. Joseph Beuys a été également associé au Fluxus, et l'influence de ce penseur sur la scène musicale allemande des années 70 est indéniable (premier albums de Kraftwerk en tête de lice). Dans ce monde du choix et de la spontanéité, on apprend à jouer des instruments par nous-mêmes (comme Brotzmann),on compose des pièces pour de l'eau ou pour le silence et rien n'empêche de composer une oeuvre pour un plongeur devant la jouer dans le vagin d'une baleine (Nam June Paik). Ce monde est libre, créatif et dérangeant... C'est Georges Maciunas, un artsite visuel, qui aurait parti ce mouvement en 1961 à New-York, Autour de lui étaient regroupés des musiciens, des peintres, des réalisateurs, une petite communauté rendue possible grâce à Lamonte Young , semble-t-il.

En parlant de Young, c'est toute une génération de musiciens gravitant autour du Fluxus qui vont également s'inspirer de la musique modale indienne (les drones), surtout avec l'arrivée de Pandit Pran Nath à New-York en 1972. Cela a permis l'éclosion d'une école dite minimaliste avec en tête les Lamonte Young, Terry Riley, Henry Flynt, John Cale, Angus Maclise, Tony Conrad, Charlemagne Palestine, Rhys Chatham...Les Velvet Underground n'étant que la pointe de cet iceberg artistique

Au Japon le mouvement prend aussi de l'ampleur. Taj Mahal Travellers est définitivement le groupe qui actuellement m'inspire le plus, eux aussi associé au Fluxus. Les drones sont omniprésent et les oeuvres de Yoshi Wada et Takehisa Kosugi sont transcendantale. Mais on oublie souvent une des plus célèbre porte-parole (malgré elle) de ce mouvement; Yoko Ono, qui avant de rencontrer John Lennon fût mariée à Toshi Ichiyanagi, un des grands compositeurs et musicien du Fluxus japonais. Certains oublient que Yoko Ono avait une démarche artistique nettement plus intransigeante que son célèbre mari et quand on la dénigre en la traitant d'opportuniste, on peut se demander si ce n'est pas le contraire qui est arrivé aussi.

De plus, si je prends en considération les groupes de musiques contemporains que j'admire le plus, ceux-ci se rapprochent tous plus ou moins de l'idée du Fluxus. La liste serait longue... Et ça va aussi plus loin, en désinstitutionnalisant l'Art, le Fluxus a ouvert la porte à l'esthétique DIY qui influença énormémnet le mouvement punk et , pourquoi pas, le hip-hop aussi. La dette est immense et il faut savoir repayé à qui on a pris...



A explorer, le site de Ubu Web

dimanche 9 mai 2010

L'énigme Will Oldham


Il y a des émotions et des gens qui les mettent en musique. Will Oldham est , selon moi, un des artistes les plus marquants des quinze dernières années. Bien sûr, il n'a pas connu un succès commercial retentissant, mais cela ne l'empêche pas de sortir un album par année (en moyenne) et de bénéficier d'une reconnaissance majeure des acteurs important dans l'industrie du disque. J'aurais été curieux de voir son spectacle live en première partie de Bjork et la réaction du public...

Que ce soit sous son nom, le pseudonyme de Bonnie Prince Billy ou au sein des Palace Brothers et Palace Music, Oldham possède cette voix particulièrement fragile et une façon de chanter reconnaissable entre mille. Et au-delà du style il y a les textes. C'est probablement ce qui le distingue el plus de tous les autres auteurs compositeurs de sa catégorie( catégorie qui incluerait qui ? Vic Chesnutt? Smog?...suggestions?). C'est surtout sous Bonnie Prince Billy que j'ai été séduit par Will Oldham. Certains thèmes sont des thèmes majeurs dans la musique, surtout ceux portant sur les relations humaines; l'amour, l'amitié et la solitude sont des sources inépuisables d'inspiration pour ceux qui savent y puiser. D'autant plus que je me questionne continuellement sur le genre de vie que ces gens doivent mener, où du moins sur les pensées qui les habitent au quotidien...

Je suis entré de plein pied dans le monde de Bonnie Prince Billy par la porte du fabuleux «Master and Everyone» (2003). À ce moment (2003), je suis en peine d'amour et aux prises avec des considérations spirituelles. C'était avant de connaître Leonard Cohen. Mais quand même, c'était une des rares fois où quelqu'un mettait mes émotions en musique de cette façon et je ne pouvais qu'apprécier sa profondeur. Combien de fois ai-je ressenti cette montée d'émotions de ma gorge à mes yeux à l'écoute de «Hard life» et «The way». Ce disque a d'ailleurs connu un succès intéressant (pour un disque dépouillé de ce genre). J'avais cependant accroché sur une critique faite par Ian Penman dans les pages du Wire, qui ne partageait pas l'engouement de tous sur ce disque, lui préférant un disque antérieur, «I See a Darkness» (1999). Il lui reprochait aussi la «barbe conceptuelle» sur la pochette du disque, perçue plus par l'auteur comme existant pour des considération esthétiques plus que comme une simple barbe... Quand j'ai finalement écouté «I See a Darkness» j'ai compris pourquoi et je lui ai donné raison.



Cet album m'est apparu comme nettement supérieur au niveau des chansons, paroles et arrangements. On y trouve de vrais perles et ce, en abondance. Je parle ici de la pièce titre, de «Black» et surtout, mais surtout, de «Death to Everyone». On se permet de crier au génie en parlant de cette chanson, Oldham s'aventurant sur une avenue ô combien glissante mais tellement bien réussie en souhaitant la mort de tous. De plus, les thèmes sont plus variés et ne portent pas tous sur les relations amoureuses.



Par la suite, sa collaboration avec Matt Sweeny sur «Superwolf» (2005) était tout aussi cryptique. Sutout dans les paroles, où Oldham nous surprend en incarnant des personnages feminins et masculins dans une même chanson en écrivant à la première personne (ce qui porte parfois à la confusion). Je crois que les émotions qui sont les mieux portées par ces chansons sont celles qui sont contradictoires; l'amour - la haine, le désir et le rejet, incluant des allusions incongrues à la sexualité... Un disque tellement puissant et intime que c'en est troublant.




Étrangement, est inclus dans le livret de la pochette de «Superwolf» un court texte de l'écrivain américain Paul Bowles, portant sur la distinction entre l'alcool et le cannabis et leurs usages dans les sociétés musulmanes (haschish) et occidentales (alcool), ainsi que leurs impacts psychologiques sur les populations. Texte intéressant qui cependant vient brouiller la cohérence de l'oeuvre musicale. La logique de son insertion ne tient surement que par un fil,qui se trouve dans la tête de son créateur, mais échappe à celui qui le questionne.


Les disques plus récents de Bonnie Prince Billy «Beware» (2009), «The Letting go» (2006), «Lie down in the light» (2008), entres autres, ne me sont pas apparus aussi lumineux que leurs prédécesseurs. Me laissant avec l'impression que Oldham tente de rendre son chemin plus accessible. Notez que je n'oppose pas ici lumineux à sombre.



Dans «Survivance des Lucioles» de Georges Didi-Huberman, il analyse certains écrits de l'auteur et cinéaste l'italien Pier Paolo Pasolini. Il parle de ces hommes-lucioles qui cherchent leur voie à travers les ténèbres en suivant les «lueurs mouvantes du désir» dans l'amour et l'amitié. Dans ses nombreux disques, Oldham a réussit à faire preuve d'humanité et c'est cette même humanité qui cherche à nous faire signe dans la nuit, nous rappelant que nous sommes vivants, en quête d'amour et des autres....

Et si je ressasse tout ça, c'est que naturellement, les émotions sont revenues; l'amour et la tristesse, emmenant avec elles leur lot de pensées et d'actions contradictoires et j'ai besoin de quelqu'un qui peut encore les exprimer pour moi.

Pour me donner l'impression d'échapper à cette tromperie.

jeudi 6 mai 2010

Ashtray Navigations: «Four Raga Moods» (Ikuisuus, 2006)


Suite à une écoute inspirante et une critique élogieuse d'une des plus récentes parutions d'Ashtray Navigations, je me devais de redécouvrir l'abondant catalogue musical de Phil Todd, l'homme derrière ces explorations du cendrier.

«Four Raga Moods» avait échappé à mon radar et en lisant les descriptions de cet album, je me suis convaincu que c'était tout à fait pour moi, d'autant plus que le titre m'était prédestiné. On peut se douter du type de flots sur lesquels navigue Todd; une mer brumeuse, à l'odeur de souffre, sous laquelle se trouvent des bouches volcaniques menaçant d'exploser à tout moment. Mais c'est aussi une mer chimique, un peu comme ces fontaines qu'on retrouve dans les bric-à-brac chinois, celles qui au contact de l'air vont produire une sorte de gaz fumigène,gaz qu'on dit innofensif mais que personne ne prendrait la chance d'inhaler. Par contre, les fumées d'Ashtray Navigations ne sont pas innofensives.

Sur ce disque, Phil Todd fait appel à quelques invités : Ben Reynolds, Pete Nolan (de GHQ), Chris Hladowski, Alex Neilson (Trembling Bells, Directing Hand...), Andy Jarvis, Matt Cairns et Melanie Delaney. Phil Todd est bien inscrit dans la scène expérimentale de Glasgow et est probablement un des artistes issu de cette scène le plus laissé pour compte mais somme toute le plus intéressant. Les quatres pièces composant ce «Four Raga Moods» sont hautement intoxiquantes et nous entraînent dans un monde surréel. Une écoute attentive, complète est vouée à nous amener dans un ailleurs et cette qualité se retrouve dans les différentes sorties de Phil Todd, ce qui en fait, à mon avis, de la grande musique.

Malgré la présence d'invités de marques, c'est la pièce solo de Todd «Hey Sunflower Motherfucker» qui se détache du lot. Un tapis de noise, de drones, couvert d'un jeu de guitare vaguement orientalisant, suivi d'un apex de drums et de sons distorsionnés font de cette pièce le morceau de résistance de ce disque. Soulignons aussi «The Pete Nolan Effect», qui dure plus de 30 minutes et s'avère une sublime pièce transcendantale de noise, casios cheaps, guitares, moog et une pléthore d'instruments contribuant à un sublime magma sonore. C'est une formule simple, reprise un peu tout le long du disque, mais très efficace. On a droit a un juste équilibre entre noise, psychédélisme et mélodies, l'esthétique lo-fi faisant plus pencher vers le noise. Une musique contemplative, résolument moderne.