lundi 29 mars 2010

Gonjasufi :« A Sufi and a Killer» (Warp, 2010)


Il est toujours intéressant de relever les mouvements inconscients qui trament les sphères culturelles. Celle où je porte naturellement le plus d'attention est la musique. En restant à l'affut des nouvelles tendances et en redécouvrant les anciennes. Depuis quelques temps déjà, on assite à une recrudescence de l'esthétique lo-fi dans les productions musicales. Mais un lo-fi voulu, se voulant intégré à la recherche musicale et non pas nécessairement vu comme une contrainte. Récemment, et j'en parlais un peu sur ce blog, les écrivains du Wire ont mis au monde le terme Hypnagogic Pop pour définir un mouvement musical résolument lo-fi, s'inspirant des années 80. Ceci faisait suite au courant dit de «Hauntology» où l'utilisation d'échantillons de musique de bibliothèque générique était de mise, rappelant un passé enfoui.

Parallèlement, l'ouverture sur les musiques du monde provenant d'Orient, d'Afrique, d'Amérique du Sud connaît aussi un développement intéressant, toujours avec une esthétique lo-fi. On peut penser aux groupes issus d'Afrique tels; Konono #1, Staff Benda Bilili, Tinariwen.... Bref plusieurs ont réussi à sortir d'un underground culturel où ils étaient confinés. Mais l'underground existe toujours....

Le Hip-Hop, fidèle à ses habitudes d'échantillonage, n'est pas en reste. Avec Madlib et OhNo en tête d'affiche, la musique dite «world» retrouve ses lettres de noblesse grâce à des productions usant allègrement d'échantillons retravaillés, plaqués sur des beats qui plaisent aux amateurs.

Quel est le lien avec Gonjasufi me direz-vous? Et bien, tout simplement que ce disque s'inscrit de plein front dans cette esthétique et cette mouvance et que ce n'est pas surprenant (un peu) de voir Warp s'intéresser à cet artiste. Mais comme toute musique underground expérimentale, elle se pointera le nez dans la musique populaire sans redonner à ce dont elle s'est inspirée. Comme Karkwa qui découvrent le piano préparé...

L'album «A Sufi and a Killer» est la collaboration du chanteur Gonjasufi et du beatmaker GasLamp Killer. Ce dernier a produit presque tous les beats, les autres étant de Mainframe et un est de Flying Lotus.... D'ailleurs GLK fait partie du crew de Flying Lotus et, d'après moi, si ce n'était de ce dernier, ce disque ne se serait jamais rendu dans les bureaux de Warp et serait resté une perle de l'undergound. Seulement, plusieurs éléments étaient déjà en place pour justifier le succès que le disque connaît. Car s'il y a quelquechose dont ce disque souffre, c'est bien les emprunts évidents à des styles ou des tendances un peu moins connues.

Au niveau des paroles et de la voix, Gonjasufi n'invente pas la roue et vient se placer dans la lignée des Daniel Johnston, Wesley Willis de ce monde. Le freak qui marmonne un peu n'importe quoi, avec des paroles parfois hyper naïves, auxquelles ont veut nous faire croire à une profondeur spirituelle... Certains pourront questionner sa santé mentale en fonction de l'image qu'on veut nous vendre de lui. Mais ses entrevues sont super intéressantes et il semble avoir toute sa tête. Sa façon de chanter me fait penser au premier disque de Dudley Perkins; chanteur qui n'en est pas vraiment un, à la voix brut mais au charme indéniable. D'ailleurs, je mettrais également le premier album de Devandra Banhart dans cette catégorie.

Au niveau des beats, c'est intéressant. J'ai déjà décrié le manque d'originalité de OhNo et ses productions «empruntées» à Selda Bagcan. Ici c'est parfois pareil (pas tous le temps, ce qui fait aussi la richesse du disque). Je me répète, mais le label Finders Keepers, poursuit une mise à jour et un corpus anthropologique phénoménal en ressucitant des classiques de musiques orientales issues des années 60-70. en passant, leur plus récente sortie, «Pomegranates» est une compilation de musique iranienne des années 70, où se mélangent folk, disco, funk, musique arabisante...pleins de bons breaks! Le label Sublime Frequencies aussi, tout comme les gens derrière la série Éthiopiques. OhNo s'y est plongé abondamment en nous servant récemment un disque composé de samples d'Éthiopiques. Gas Lamp killer suit donc OhNo de près. Il a composé des bons beats, échantillonnant beaucoup de musique orientale, des trucs qu'on retrouve sur les labels cités ci-haut. Une première écoute m'a tout de suite donnée l'impression que j'écoutais un mélange d'Omar Souleyman et de Dudley Perkins. Non seulemet les samples sont familiers, mais certains breaks de drums ont été déjà surutilisé. L'échantillon de piano sur la pièce «Advice» est le même que «The Earl Town Hermit» sur l'excellent disque de Recyclone et Soso «Stagnation and Woe». Et d'autres sons sont tout aussi familiers (le loop du track «Duet»). Certains beats sont définitivement dans l'école post-dilla et celui produit par Flying Lotus ressemble à une prod de MF Doom combinée avec Jay Dee.

Maintenant, parlons un peu de cette esthétique lo-fi, avec des voix trempées dans le delay et autres effets. C'est la raison principale pour laquelle j'ai eu Omar Souleyman en tête, le côté lo-fi de la prod orientalisante, qui est somme toute, bien réussie. Mais cette utilisation d'effets dans la voix, des paroles à la limite du discernable, a déjà fait des petits dans l'underground avec les Skaters, Ferraro, Sun Araw... Dans le même style, l'écoute de Gary War «Horrible Parades» reste plus excitante

J'ai discuté de cette approche lo-fi avec un ami et ce, à la lumière du nouveau disque de Ghislain Poirier. En voulant reprendre des rythmiques plus près du Soca, Poirier s'est heurté au côté lo-fi de la chose: synthé cheaps, des vieux beatbox... Celui-ci semble avoir voulu conserver l'esthétique avec des moyens plus modernes. Ce qui au final fait que certains beats sonnent «cheap». Il y a une raison qui justifie le retour aux machines analogues....

Mais n'allez pas penser que le disque de Gonjasufi n'est pas bon. Au contraire, c'est vraiment bien. Des pièces comme «She's Gone» et «I've Given» sont totalement magiques (et il y a en a pas mal d'autres) et l'écoute dans l'ensemble est très bonne. Seulement, il ne s'agit pas d'un disque transcendant, criant d'originalité comme on veut un peu nous le faire croire. Mais chapeau à Warp d'avoir suivi le mouvement...



Et un vidéo écoeurant de Omar Souleyman!!!

lundi 22 mars 2010

Tom Carter & Christian Kiefer : «From the Great American Songbook» (Preservation , 2008)


Une des raisons pour laquelle j'adore aller voir des spectacles de musique, est que si nous avons affaire à un artiste soucieux de ses fans (et de son porte-monnaie), celui-ci aura une table de «merch» bien garnie. Offrant ses albums à des prix accessibles et surtout, en offrant des sorties qu'on trouve difficilement sur le marché.

Lors de la foire du Under the Snow, Tom Carter et Marcia Bassett ont tenu une table durant une heure ou deux le samedi et ont vendu beaucoup de stock. J'en ai profité pour acheter le vinyle d'Hototogisu sur Nashzaphone (à 12$...au lieu de 30$), ainsi que ce cd de Tom Carter et Christian Kiefer.

J'ai connu Tom Carter au sein du duo (autrefois trio) Charalambides et par la suite, porté une oreille attentive à ses expériences solo. Musicien somme toute prolifique, Carter sort des albums sur une base régulière, en solo mais aussi au sein de différentes formations et avec divers collaborateurs. Plus connu pour son jeu «monolithique» (droney/ ambiant), porté par la disto, mon disque préféré de ce dernier reste son plus mélodique, soit un cd sorti sur Digitalis intitulé «Glyph», sorti en 2006. La-dessus, Tom Carter nous montre sa finesse en tant que guitariste mélodique ainsi que son inventivité. Mais je suis comme ça, malgré mon intérêt envahissant pour la musique expérimentale, je reste quand même plus porté émotivement vers des musiques conservant un aspect mélodique. De l'autre côté, avant ce jour, Christian Kiefer était un parfait inconnu et il le reste encore. Tout ce que je sais c'est qu'il s'agit d'un musicien folk, ayant sorti des albums obscurs, et plus que probablement, très mal distribués...

L'idée derrière cette collaboration est simple; reprendre des chansons tirées du «Great American Songbook». Il s'agit de répertoire de chansons «américaines», presque toutes issues entre les années 1900 et 1950. On oscille donc entre jazz, ragtime, blues, bluegrass, gospel... Le meilleur porte-étendard de ce répertoire reste encore le film «O brother where art Thou?» et sa fabuleuse trame sonore. Bien entendu de nombreux artistes folk ont repris ces classiques. On pense notamment à Johnny Cash, Willy Nelson, Paul Robeson, Joan Baez, Townes Van Zandt, Pete Seeger....et la liste est longue. Certaines pièces ont une origine parfois un peu plus lointaines et sembleraient provenir du répertoire britannique, qui a été incorporé au folk appalachien. Bref, on voit que s'attaquer à ces chansons est une tâche difficile, car elles font partie d'un bagage musical commun aux américains et que de nombreux artistes ont repris ces oeuvres à leur compte.

Ainsi, si Tom Carter s'associe à un tel projet, le résultat ne peut qu'être intéressant. Et il l'est. C'est même plus qu'intéressant, c'est tout simplement fascinant. Carter et Kiefer ont réussi ce qui m'apparaît comme un tour de force, soit de reprendre des classiques dans un contexte beaucoup plus expérimental et improvisé, tout en conservant l'âme des pièces choisies. On a donc un juste équilibre entre mélodicisme et abstraction sonores qui m'a séduit dès la première écoute. On peut penser en premier qu'il s'agit d'un duo de guitares, ne s'éloignant pas très loin du registre folk... mais le mépris est de taille. L'instrumentation est foisonnante et donne lieu à des superbes moments, comme le solo d'orgue de Kiefer sur «Will The circle be unbroken» et le jeu free du drum sur «The Entertainer». Aucune des pièces ne semble méconnaissable (selon ma connaissance du répertoire), elles conservent toutes un aspect traditionnel, mais les musiciens se permettent des moments très intimes, ayant la capacité de transporter le morceau ailleurs. D'autres musiciens viennent s'ajouter sur certaines pièces, dont Scott Leftridge à la basse, Chip Conrad aux drums/percus et Ben Massarella (de Califone) aux steel drums. Kiefer, joue de la guitare, du piano, de l'orgue, du banjo et il chante sur certaines pièces. Pour sa part, Tom Carter joue principalement de la guitare électrique,acoustique et de la lap steel. L'enregistrement est aussi superbe, autant dans sa qualité sonore qu'au niveau du mix, où sur la majorité des pièces, Carter et Keifer, se partageant le jeu de guitares, sont répartis chacun de leur côté (droite/gauche), faisant d'une écoute avec des écouteurs un pur moment de bonheur...

De plus, le label australien Preservation a fait un travail de maître au niveau de l'emballage et de la présentation du cd, chaque chanson est accompagnée d'un court texte descriptif ou inspiré , écrit par des musiciens folk contemporains issus de la même scène expérimentale: James Jackson Toth (Wooden Wand), Glenn Jones, Byron Coley, Tony Conrad, Sharron Kraus, Tetuzi Akiyama... Le souci du détail est très présent; l'origine de chaque pièce est inscrite à l'intérieur, en mentionnant le compositeur original présumé, son année de composition, qui sont les musiciens qui l'ont rendu populaires ainsi que les anciens titres de ces pièces. La seule chose qui manque peut-être, sont les raison motivant le choix des pièces réinterprétées sur ce disque. Mais c'est un bien petit détail...

Petit vidéo d'une des chansons reprise sur le disque:

jeudi 18 mars 2010

Conversations de salon


La semaine dernière avait lieu le festival Under The Snow. Une initiative de Jeff Rioux, patron du label Where Are my Records (en passant, amateur d'indie pop, faut écouter la plus récente sortie du label: The Fatales, c'est très bon) et fondateur du fanzine/maintenant webzine Emoragei. Depuis, deux-trois ans, ce festival tombe de plus en plus dans mes goûts avec une belle sélection de groupes expérimentaux/noise. Samedi et dimanche avait lieu le salon du disque et des arts underground, en marge du festival Under the Snow. Un peu comme l'Expozine, le Puces Pop ou autres salon du genre, Jeff voulait rassembler des artistes de toutes disciplines en un même lieu afin de favoriser la diffusion de leur art. Encore une belle initiative, qui prendra cependant un certain temps avant de s'imposer comme évènement. Disons que le troisième édition risque d'être plus imposante. Donc, pas beaucoup de personnes se sont déplacés pour ce salon mais j'ai eu la chance de tenir une table pour Endemik Records et le week-end fut agréable. Quand même pas mal de ventes, surtout aux autres exposants cependant (!). Une belle opportunité de faire connaître le label Endemik et dans cet optique, notre objectif a été pleinement atteint.

De belles rencontres, des échanges intéressants, bref, si Jeff Rioux persiste dans sa démarche et continue de tenir ce salon lors des prochaines éditions du Under The Snow, ça risque de devenir un évènement intéressant. Parmis les rencontres intéressantes, je peux mentionner Cynthia Bellemare du Conseil des Arts de Montréal (bon, je le sais, anciennement de la SOPREF), Michel Levasseur du Festival de Musique Actuelle de Victoriaville (et des disques Victo), les gars du label de Québec p572, le band Oromocto Diamond, la maison de production Sang d'Encre, l'atelier de sérigraphie Korpo, le label français Chez. Kito.kat...

On a fait pas mal d'échanges de disque et un type en particulier a voulu nous échanger son cd. Ce gars-là n'était pas un exposant mais se promenait de table en table et j'ai accepté pour être gentil... Après ce geste impulsif (et les reproches de ypl), j'ai un peu regretté mon geste... Il faut dire que visuellement l'espèce de pochette new-age (paysage coucher de soleil style), intitulée «The Golden Road», avec une photo du musicien à l'arrière où il semble complètement illuminé, ne prédisait rien de bon. Dans le livret, il y avait des remerciements et les paroles des chansons en anglais et encore une fois, ce ne m'inspirait pas vraiment...Quand on traite de «Light of god», qu'on remercie Jésus, Saint-Germain, Godfre et Lotus...bref... J'avais tellement d'appréhensions que je n'étais pas super enthousiaste à l'idée d'écouter ce cd, sauf peut être pour en rire. Mais je l'ai finalement mis dans le lecteur et le miracle s'est produit : je l'ai écouté au complet... Surprenamment, c'est un disque super bien fait, de chansons folk/pop mystico-religieuses, juste sur le bord du quétaine, avec des arrangements me rappelant Joanna Newsom ou Owen Pallett. Même la voix du type n'est pas si mal et son anglais est très bon. Il y a même des interludes instrumentales que je qualifierais d'expérimentales, qui font partie des bons moments du disque (parcequ'il y en a). De plus, il joue la majorité des instruments... Mais faut aussi relativiser; je ne dis pas que je vais écouter ce disque souvent, ni que c'est vraiment bon, seulement la surprise était de taille et juste pour ça je devais en parler...

Vous n'avez qu'à juger par vous même.

lundi 15 mars 2010

Richard Pinhas et la Terre de glace


Je demande le froid. Rêve de glace, de paysages dénudés, balayés par le vent. Je rêve aussi de volcans, de sources d'eau chaudes, de geyser... D'une lande vierge et froide où je règnerais comme le seul homme. Peut-être est-ce l'arrivée d'un printemps précoce, le changement d'heure... Toujours est-il que je ressens une forme d'incomplétude. Comme si le cycle de la mort hivernale ne s'était pas complètement bouclé. Mon hiver intérieur persiste, malgré le soleil et la température clémente...

Depuis plusieurs années je rêve aussi à l'Islande. Il y a quelque chose de foncièrement mystérieux et d'attirant dans ce pays, qui fait que mon esprit retourne souvent contempler la possibilité d'y mettre les pieds. Je ne suis pas le seul qui y rêve. Je ne sais pas si c'est la production faramineuse d'artistes comme PIB qui y est pour quelque chose, mais avec l'éclosion des Bjork, Sigur Ros, Mùm et autres, il doit bien y avoir une source de création intemporelle dans laquelle il serait possible de puiser. Lors de mon passage à Berne l'automne dernier j'ai ressenti cet élan de créativité inhérent à la ville, je me suis fait traverser par elle et penser qu'y vivre quelques temps serait bénéfique. On m'a dit aussi que Berne était une ville triste, s'harmonisant bien avec notre musique. L'Islande bénéficie-t-elle aussi de cette aura?

Depuis dix ans, Reykjavik accueille le festival Iceland Airwaves qui s'étire désormais sur cinq jours. L'année dernière c'était plus de 150 groupes dont plus du deux tiers sont issus d'Islande...pour une population de près de 320 000 c'est énorme.

Mon premier intérêt pour l'Islande musicale est venu du superbe album «Story of Iceland» d'Eyvind Kang, sorti sur Tzadik en 2000. Une composition ésotérique qui m'a profondément marquée lors de sa découverte. Peut-être que dès ce moment j'ai associé mystère avec Islande.



Par la suite c'est le film «The Sea» (2003) qui m'a séduit. Film du même réalisateur que Reikjavik 101 (Baltasar Kormákur), qui raconte un drame familial tournant autour de la situation économique et sociale de l'Islande, avec des commentaires acerbes sur l'état des choses. Mais Kormakur réussit à teinter ses personnages des couleurs pourpres et vermeils, rehaussant la particularité monochrome du paysage social.

Et depuis quelques jours, l'excellent disque de Richard Pinhas «Iceland» (1979) m'accompagne et fait remonter ces épiphanies. Quel disque majestueux, un précurseur au courant New-Age, une musique synthétique sombre, froide où guitare électrique , synthétiseurs et électroniques épousent les formes l'un de l'autre. Un autre disque bien en avance sur son temps, qui n'a connu qu'un succès relatif. Avant de produire ce disque, Pinhas était membre du duo Heldon et a collaboré avec Deleuze sur une pièce nommée «Le Voyageur», où ce dernier faisait un spoken word soutenu par la musique d'Heldon. D'aileurs le premier album de Pinhas, intitulé «Rhizosphère», est le fruit du parcours d'un étudiant en philosophie, grandement inspiré par Deleuze et l'avant-garde musicale de son époque. Cuneiform Records a réédité une grande partie du catalogue de Pinhas/Heldon, pour notre plus grand bonheur.




Ce qui est d'autant plus fascinant, est que j'écoute en parallèle le plus récent disque de Yellow Swans «Going places». C'est très, très, proche de «Iceland». C'en est même troublant (mais dans un bon sens). C'est surtout au niveau des ambiances sonores que la similitude est frappante, le traitement des sons est cependant beaucoup plus saturé chez Yellow Swans que chez Pinhas. Normal, Yellow Swans ont une esthétique plus «noise» et cela n'apparaît pas comme surprenant sachant qu'ils se sont fait connaître au sein cette scène musicale. Par contre, ce nouvel album est sorti sur Type et est beaucoup plus mélodique de ce que j'avais entendu d'eux auparavent.



Le printemps n'est pas qu'une saison...

mardi 9 mars 2010

Ararat: « Musica de la Resistencia» (Meteor City, 2009)





Nous avons ici une autre perle qui risque de passer sous le radar. Et ce, probablement parceque c'est sorti sur un label qui se spécialise en d'autres genres de musiques. Naturellement, il faut préciser. Meteor City semble définitivement plus tremper dans le «stoner rock» et autre genre de rock un peu plus lourd. Donc un label sous lequel vient difficlement se greffer un disque de folk expérimental. Des guitares acoustiques et électriques, du piano, des ambiances lourdes et sombres, des manipulations électroniques. Stoner rock ? Pas vraiment, mais quand même...

Ararat est le fruit d'un certain Sergio Chotsourian, musicien argentin d'origine arménienne. Celui-ci est le chanteur et guitariste du groupe Los Natas(!), un groupe stoner-rock qui semble connaître un certain succès (en Amérique du Sud). Avec l'aide de son frère Santiago au piano ainsi qu'avec quelques autres musiciens, il a composé un album réellement fascinant. Évidemment, il est allé puiser dans ses racines arméniennes et Caucasienne, mais y a mélangé aussi des sonorités folk sud-américaines, des expérimentations studio et de lourdes guitares électriques. Un hommage à la résistance qui fait le point sur ses propres origines.

Sans rien connaître sur ce groupe, dès la première écoute, j'ai su que c'était des gens qui venaient plus d'une scène métal. Certaines orchestrations sont typées; des riffs de guitares électriques soutenus par des accords d'orgues apocalyptique, s'inscrivant dans un genre plutôt doom-folk, des drums lourds et des ambiances complexes bien travaillées. Mais c'est plus riche que ce que je peux en dire. Ce sont des longues pièces avec des changement au milieu, des mélodies rejouées à l'envers sur des bandes, une mélodie de piano me rappelant étrangement les chants kurdes et arméniens tels qu'annotés par G.I. Gurdjieff, une voix espagnole trempée dans le reverb et pas mal de guitare acoustique. Si'l faut faire un lien avec le rock (ou stoner..), je dirais que par moments, on pense entendre des échos de Boris à son plus mélodique/psychédélique, ou encore Comets on Fire... mais on échappe vite à ces rêveries pour revenir dans la réalité particulière de cet album.

Il s'agit d'un disque qui s'inscrit pleinement dans la tradition de la musique psychédélique sud-américaine des années 70, rappelant au passage l'oeuvre de Lula Cortes, mais qui ne se veut surtout pas une pâle copie; on se dirige d'un pas ferme vers un ailleurs. L'originalité ne manque pas sur cet enregistrement, l'effort d'actualisation des influences culturelles est remarquable. Et c'est un phénomène qui risque de devenir de plus en plus intéressant. Avec les mouvements des populations à travers le monde (des arméniens en Argentine par exemple), on va assister à un métissage culturel assez particulier dans le monde de la musique. Et là je ne parle pas de ces groupes alter-mondialistes où autre soupe fade qu'on nous sert dans la sections musique du monde au Archambault. Je parle de la musique expérimentale, avec des jeunes musiciens issus de l'immigration, de deuxième génération, qui vont tenter de créer quelquechose de complètement nouveau en puisant à même leur identité ethnique, culturelle, sociale, etc... En ancrant leurs pieds solidement dans les entrailles de leur terre d'accueil et utilisant leur être comme agent transformateur des pulsions qui habitent leur inconscient.

Petite intro d'une pièce qui, en réalité, dure bien plus longtemps:

samedi 6 mars 2010

Schlachtfest Session II (Klangbad, 2008)


Le groupe Faust peut être perçu comme l'exemple typique d'une rupture de band qui s'est terminée d'une façon embrouillée. Le groupe qui en 71 devait redéfinir le rock allemand, a finalement pris une tangente beaucoup plus expérimentale pour aboutir avec la sortie de leur premier album «Faust». Ils sont quand même parvenus à redéfinir le genre et leur premier disque demeure est des plus particulier de leur discographie (si ce n'est le plus particulier). Toujours est-il que le groupe s'est séparé en 75 et ont fait un bref retour dans les années 90. Mais ça ne semble pas avoir fonctionné... Depuis, cette brève réunion, il existe maintenant deux versions du groupe Faust et les deux font des shows et des tournées. Une des versions du groupe est formée de Jean-Hervé Peron et Werner «Zappi» Diermaier, deux des membres originaux. Ils se sont associès à d'autres musiciens pour leurs shows dont le guitariste Steven Wray Lobdell (excellent Davis Redford Triad). Ce sont eux qui reprennent principalement les vieux succès de Faust et qui sont venus au Pop Montréal l'année dernière. L'autre Faust est tenu par le claviériste Hans-Joachim Irmler, autre membre fondateur du groupe. Celui-ci se fait plus discret de notre côté de l'océan, mais est encore très actif dans la scène musicale allemande. En effet, il a parti le label Klangbad et produit un festival annuel du même nom. Klangbad est devenu au fil des ans un label très intéressant et devrait voir prochainement la sortie d'un nouvel album de Faust (son Faust).

Schlachtfest est un festival issu de Klangbad (qui a ensuite changé de nom?). En 2006 avait lieu la deuxième édition, qui a mené à ce superbe enregistrement. Précisons que ce n'est pas un enregistrement live, c'est actuellement un enregistrement studio où se sont rejoints différents musiciens ayant participé au festival. Il s'agit d'une très belle collection de musiciens où les générations et les origines se mélangent en une superbe séance d'improvisation.

Tout d'abord on retrouve John Tchicai au saxophone ténor, pillier du free-jazz en Europe et un peu en Amérique, Tchicai est un des saxophoniste les plus mélodiques du free-jazz qui soit. Irmler lui-même vient jouer des claviers et est accompagnée par deux collaborateurs de la génération «Kosmische» soit; Roman Bunka du groupe Embryo au oud et Jan Fride du groupe jazz-rock Kraan à la batterie et aux percussions. Ces vétérans sont accompagnés de musiciens de la scène expérimentale de Glasgow: Hanna Tuulikki et Aby Vullimy (toutes deux de Nalle) au chant et à la viole, Chris Hladowski (Nalle, Family Elan, Daniel Padden One Ensemble) au bouzouki, et George Murray du Glasgow Improvisers Orchestra, au trombone.

Juste en se servant des repères musicaux préexistants, on peut se faire une idée approximative du genre de musique qu'on pourra retrouver sur ce cd et on ne sera pas très loin de la vérité. Définitivement particulier, on mélange free-jazz, folk, synthétiseurs, musique orientale et le résultat est très étonnant, même s'il y a une proximité esthétique avec ce qui se faisait en Allemagne dans les années 70. Il y a un côté mélodique presque omniprésent sur les pièces, ce qui facilite grandement l'écoute. Il y a certaines envolées free par moment, mais en général l'ambiance est plutôt «orientale». Une pièce en particulier me fait penser à la collaboration de Jan Garbarek et Anouar Brahem sur ECM, où Roman Bunka et John Tchicai se partagent l'avant plan, soutenu par une percussion électronique apocalyptique. On retrouve rarement tous les musiciens ensemble sur une pièce (en fait, je crois que ça arrive presque sur la première pièce seulement...),ce qui nous donnent des pièces assez épurées où on perd rarement de vue le focus mélodique. Bref, Une belle session d'improvisation qui mérite d'être entendue, où ce sont les vieux krautrockers accompagnés de Tchicai qui brillent le plus.

http://www.klangbad.de/xtc/product_info.php/info/p83_Schlachtfest-Session-II.html

lundi 1 mars 2010

Gérard Manset: «La mort d'Orion» ( Pathé Zenon, 1970, réédition World Psychedelia 2007)


Beaucoup d'opéra-rock ont connu un succès retentissant dans les années soixante-dix. On pense facilement à «Tommy» de The Who, «Jesus Christ Superstar», «Hair», etc... Naturellement, tous ne connaissent pas un succès instantané, sort qui est habituellement réservé à toute oeuvre d'avant-garde, soit de pourrir dans l'ombre avant de donner naissance à des champignons hallucinogènes et libérer leurs spores dans la société, intoxiquant toutes les sphères de création. Mais je m'éloigne...

«La Mort d'Orion» est donc une oeuvre construite sur le format opéra-rock, soit une histoire qui se décline en chansons. Plusieurs actes nous transportent au coeur d'un récit qui connaît un début et une fin. Tout au long de l'histoire, les ambiances changent et les narrateurs aussi, permettant des changements assez drastiques entre les mouvements. Sincèrement, ce n'est pas un genre musical qui capte mon attention. Mais c'était sans compter sur ce disque de Gérard Manset.

Tout d'abord, précisons que Gérard Manset est un artiste atypique, qui a connu un certain succès dans les années 70 et qui continue de créer sous plusieurs formes; écriture, peinture, musique, photographie... Il aurait par ailleurs aussi écrit plusieurs chansons pour des interprètes français et québécois. Une chose qui le caractérise est qu'il n'a jamais fait de spectacle, ni fait ouvertement la promotion pour sa musique. Il dit trouver cela ridicule et impudique de chanter devant un public. D'emblée, j'aime même sans avoir écouté sa musique. Le disque «La Mort d'Orion» est celui qui a contribué le plus à son succès , se vendant à près de 20 000 exemplaires. On dira que 20 000 c'est pas énorme, mais pour une oeuvre aussi particulière, c'est tout un exploit.

Ce disque est d'une étrange beauté, difficilement qualifiable. Nous sommes en territoire résolument du type «chanson française», avec des arrangements parfois pompeux de cordes et du chant rappelant vaguement Francis Cabrel. Mais une aura expérimentale plane au-dessus de cet ensemble et se matérialise en une poésie parfois tellement surréaliste et macabre, parfois en des arrangement de sitare intoxiqués aux amphétamines, parfois des effets de studio impromptus sur les voix, parfois avec des chants rappelant vaguement Ghédalia Tazartès... Parfois, car effectivement l'expérimentation n'imprègne pas tous les mouvements de la pièce, il y a des moments très orthodoxe voix /piano/ violon, qui rendent le produit quand même assez accessible.

D'autres chansons suivent «La mort d'Orion», qui compose la moitié du disque. L'autre moitié est toute aussi étrange mais avec des changements un peu moins brusques. La poésie est encore aussi particulière, parfois un peu simpliste mais cela ajoute au charme de l'oeuvre. Il y a tellement de paroles qu'on pourrait citer sur ce disque et tellement de moments particuliers qui suscitent notre interrogation... Vraiment un belle oeuvre, son écoute est marquante.